J’avais promis, la semaine dernière, de revenir sur cette question de qui sont les simplicitaires, combien sont-ils, etc. Et j’avais dit qu’il était extrêmement difficile de tracer un contour précis, pour la bonne raison qu’il n’y a ni cartes de membres, ni credo officiel auquel il faut adhérer, ni même de programme ou de recettes qu’on s’efforcerait d’appliquer.
La simplicité volontaire est un courant social, une certaine philosophie de vie, et même jusqu’à un certain point au Québec, une sorte « d’appellation générique » (à l’exact opposé d’une appellation contrôlée!) qui fédère, dans l’opinion publique et même dans les médias, tout ce qui s’appelle « alternatives » à la société marchande capitaliste, au clinquant technologique et à la recherche du toujours plus. Au point qu’on titre souvent, dans les journaux d’ici, « Simplicité volontaire » pour qualifier un disque ou un spectacle dont l’artiste a choisi de réduire les orchestrations ou les effets spéciaux! Et que les producteurs de lait s’en sont servi pour annoncer leur beurre!
Il s’agit certes de récupération commerciale ou culturelle. Mais nous ne sommes pourtant pas si loin de la simplicité volontaire elle-même, dans la mesure où celle-ci a amorcé une remise en question de la société dominante dans laquelle elle s’inscrit. Et qu’elle en est venue, dans l’esprit de plusieurs, à symboliser ce courant de questionnement de tout ce qui nous est présenté comme évident, comme allant de soi.
C’est d’autant plus vrai que la rencontre avec nos amiEs simplicitaires belges, par le biais d’une vidéo-conférence de 90 minutes lors du dernier colloque du Réseau québécois pour la simplicité volontaire (10 et 11 avril 2010), a bien montré comment le concept de simplicité volontaire pouvait se vivre de manière à la fois semblable et différente selon les pays, les contextes et les accents mis sur un aspect ou l’autre de l’intuition si riche de la simplicité volontaire. Ces groupes de simplicité volontaire belges, réunis au sein des Amis de la Terre, sont nés à partir de 2005 en s’inspirant explicitement de l’expérience québécoise du Réseau québécois pour la simplicité volontaire. C’est d’ailleurs sur le site du Réseau qu’ils ont d’abord découvert la simplicité volontaire, avant de l’expérimenter eux-mêmes, de se l’approprier, de lui donner leur propre couleur (davantage collective, intégrée au sein du mouvement social, et politique). Tellement que pour notre 10e anniversaire, nous avons senti le besoin de les rencontrer virtuellement pour apprendre d’eux à notre tour1.
Sommes-nous si loin des simplicitaires anonymes? Pas vraiment. Parce que plein de gens pratiquent la simplicité volontaire, ou certains de ses aspects, sans le savoir explicitement, sans revendiquer leur appartenance à ce courant de pensée, ou parfois même en se défendant d’en faire partie! Comme ce journaliste de la région de Québec, spécialisé dans toutes les questions d’environnement, qui tient plusieurs chroniques à la radio et dans les journaux où il fait la promotion d’une foule de comportements liés à la simplicité volontaire (alimentation, énergie, consommation, etc.), qui était venu présenter son travail au colloque du Réseau de 2009 et qui ne cessait de rappeler qu’il n’était pas lui-même un simplicitaire. Comme s’il craignait d’être « étiqueté » ou associé malgré lui à un mouvement considéré comme marginal.
Qui donc est un simplicitaire? Essentiellement ceux et celles qui acceptent de se dire « simplicitaires », de se reconnaître explicitement dans ce courant d’idées. Ça n’a rien à voir avec un certain nombre d’exigences minimales : d’ailleurs bien des gens qui ne se disent pas simplicitaires peuvent avoir, dans les faits, des comportements plus cohérents ou plus simplicitaires que d’autres personnes qui font officiellement partie du mouvement! On peut être simplicitaire en ayant une auto autant qu’en y ayant renoncé, en étant carnivore comme en étant végétarien, en dépensant 10 000 $ par année comme en gagnant 150 000 $ par année. Tout est dans les choix, les préoccupations et, surtout, dans la trajectoire.
Car comme on le répète souvent, la simplicité volontaire est avant tout un cheminement, une belle aventure dont on connaît généralement le début mais jamais la fin. C’est un voyage qui part d’un événement, d’une rencontre, d’une prise de conscience, et qui nous conduit peu à peu vers nos véritables besoins, nos priorités, ce qui pour nous est essentiel. En évitant graduellement les innombrables sollicitations vers l’éparpillement, les distractions, la course aux mirages qu’on multiplie à l’infini en les faisant miroiter devant nous.
Ce soir, Jour de la Terre, je m’en vais entendre le grand agro-écologiste et humaniste Pierre Rabhi. Lui qui plaide, depuis déjà longtemps, pour une « insurrection des consciences », il appelle aussi à la « sobriété heureuse », reprenant le mot qu’avait lancé au Québec, dès le début des années 1970, notre grand écologiste Pierre Dansereau (et apparemment, avant lui, Ivan Illich). Rabhi, Dansereau, Illich : des simplicitaires anonymes? Après tout, ça n’a aucune importance! La seule chose qui compte, c’est que nous agissions concrètement, dans nos vies quotidiennes, pour faire une juste place à tous nos frères et sœurs humains, pour aujourd’hui, pour demain et pour après-demain. Car, comme le dit si bien Vigneault, « tous les humains sont de ma race ».
1 On trouvera plus d’informations sur l’expérience belge de la simplicité volontaire en accédant à leur site. Et une remarquable analyse de la simplicité volontaire comme forme d’engagement social dans le livre d’Émeline De Bouver, Moins de biens, plus de liens – La simplicité volontaire, un nouvel engagement social, Ed. Couleur livres, Charleroi, 2008, 120 pages.