Je voulais, cette semaine, aller voir le spectacle musico-théâtral Edgar et ses fantômes. Je ne pouvais y assister que jeudi soir. Finalement, je n’y suis pas allé et j’ai plutôt regardé la première partie de l’excellente enquête sur la crise d’octobre 70 diffusée à Radio-Canada dans le cadre d’une édition spéciale de Tout le monde en parlait.
Quel rapport avec le Carnet des simplicitaires? Après tout, je ne suis pas ici pour vous partager mon emploi du temps!
Si j’ai choisi de vous parler de cette situation bien ordinaire, pour l’analyser de plus près, c’est qu’elle exprime bien, à mon avis, les milliers de désirs et de choix auxquels nous sommes tous confrontés chaque semaine : désirs de consommation les plus divers (objets, vêtements, films ou spectacles, invitations à une fête, match sportif, émission de télévision ou jeu sur Internet, etc.), qui nous font (parfois terriblement) envie, que nous choisissons parfois d’assouvir ou non, mais qui bien souvent nous passent tout simplement sous le nez sans même que nous ayons pris ou eu le temps de décider quoi que ce soit (soit parce qu’il y en a trop, par manque de temps, ou parce qu’on a remis la décision… jusqu’à ce qu’il soit trop tard!).
Mais rappelons, avant toute chose, que la simplicité volontaire ne consiste pas à consommer le moins de choses possible ou à dépenser le moins possible, mais bien à chercher le bonheur où il se trouve vraiment et à redécouvrir qu’on peut être aussi heureux, et même plus, avec moins, et souvent beaucoup moins, que ce qu’on nous dit et ce qu’on croit.
Je reviens donc à Edgar et ses fantômes. Spectacle unique (cinq comédiens et orchestre de 25 musiciens sur scène), écrit sur mesure par le dramaturge Normand Chaurette pour mettre en valeur l’érudition musicale d’Edgar Fruitier. Occasion à ne pas manquer (à 80 ans, Edgar ne reviendra pas le jouer pendant encore bien des années). Et soirée musicale, qui est un de mes loisirs préférés. Toutes les raisons donc pour y aller.
Reste-t-il des billets? Oui. À combien? Entre 75 $ ou 85 $. C’est cher, mais j’ai de quoi me les offrir. Alors, pourquoi n’y suis-je pas allé? Et surtout, quel bilan fais-je de ce désir non assouvi?
Pourquoi? Les raisons sont nombreuses, chacune plus ou moins valable individuellement, selon les personnes et les circonstances, mais qui s’accumulent : dépense élevée, qui entre dans mon budget mais qui accapare une somme importante qui ne sera plus disponible pour autre chose; conflit d’horaire entre le seul soir disponible et la diffusion du reportage sur la crise d’octobre (que j’aurais cependant pu revoir sur Internet); accumulation d’activités dans une même semaine; mais surtout, concurrence folle entre plein d’activités, de spectacles et de projets qui suscitent également mes désirs et qui se disputent un temps forcément trop limité (difficulté d’établir des priorités, de choisir).
Quel bilan? J’ai peut-être « manqué quelque chose » (je n’en sais rien) mais je ne suis certainement pas plus malheureux pour autant. Ce qui me faisait terriblement envie avant me laisse le plus souvent étonnamment indifférent après. Comme quoi les désirs, insatiables par nature comme le rappelait Aristote il y a 2500 ans, sont bien vite oubliés et remplacés par d’autres (faites le test avec les films qui sortent chaque semaine en salle et que vous aimeriez bien aller voir : combien y en a-t-il, parmi tous ces films désirés, que vous regrettez vraiment d’avoir manqués après coup?).
Ce mécanisme du désir toujours renouvelé, que je l’aie assouvi ou non d’ailleurs (puisque qu’un désir assouvi, même avec grand plaisir, ne comble jamais très longtemps), est à la fois central dans la condition humaine (l’être humain aspire à plus grand que lui et à plus grand que les multiples formes limitées que prennent ses désirs; au fond, l’être humain aspire à l’infini) et dans le capitalisme marchand qui nous sert d’économie (la croissance économique, tout comme la consommation, reposent essentiellement sur le remplacement permanent des désirs et de leurs objets : c’est la raison d’être de la mode et de la publicité).
Je ne plaide pas en faveur ou non d’Edgar et ses fantômes. Pas plus qu’en faveur ou non d’assouvir tel ou tel de ses désirs. ChacunE doit faire ses choix en fonction de ses propres critères et priorités.
Mais je constate que ma vie (toute vie?) est faite de désirs et que la réalisation de ces désirs n’est pas ce qui me rend heureux. Bien des désirs assouvis me procurent du plaisir. Mais le bonheur me vient d’ailleurs.
Et vous?