Je viens de lire trois livres intéressants et complémentaires sur le fameux rapport à nos « objets informatiques » (ordinateurs, tablettes, téléphones « intelligents », etc.). En voici un bref aperçu, histoire de vous mettre l’eau à la bouche ou de vous mettre sur des pistes nouvelles de réflexion…
Déconnectez-vous!
Ce livre de Rémy Oudghiri (Éditions Arléa, 2013, 208 pages) est une réflexion large, appuyée sur l’histoire, la littérature et la philosophie, sur le phénomène de « connexion » que vit de plus en plus notre société à tous les niveaux.
L’auteur, spécialiste de l’évolution des valeurs et des modes de vie à l’institut français Ipsos, est bien placé pour analyser les phénomènes sociaux. Et ce qui m’a agréablement surpris, chez lui, c’est le recul dont il est capable face à cet espèce de tsunami que constitue l’informatisation et la numérisation croissante de notre monde : ni adversaire, ni adorateur de la technologie, il en constate les conséquences déjà visibles sur les humains et leurs comportements et plaide pour une reprise en main de nos vies, besoin essentiel déjà exprimé par les sages et les philosophes du 19e siècle, avant même le déferlement des innovations technologiques et un siècle avant l’apparition des ordinateurs!
La meilleure façon de vous en donner un aperçu est sans doute d’en énumérer les diverses sections :
- La connexion et ses effets pervers (l’ère de la connexion généralisée, une addiction contemporaine, la perte du moment présent, l’oubli de l’humain, la disparition du sens)
- Déconnectez-vous! Naissance d’un mouvement (la nouvelle tendance, Slow is beautiful, l’art de la fuite, les vertus de l’oisiveté, vers une société de la décroissance?, se déconnecter pour se reconnecter)
- La déconnexion : un pratique intemporelle (Sénèque et le loisir studieux, rêver avec Rousseau, la vie simplifiée d’Henry David Thoreau, l’art de l’interruption selon Hermann Hesse, à la recherche de la vie authentique)
- Rester soi-même (inventer de nouvelles règles de savoir-vivre, savoir prendre du recul : la leçon du 20e siècle, réintroduire la dimension humaine, être là sans y être, n’oublie pas de vivre)
Une présentation modérée, informée et séduisante des enjeux posés par la connexion croissante de nos sociétés si nous voulons continuer d’en être les acteurs plutôt que les victimes. Un livre facile à lire, bien écrit et stimulant.
J’ai débranché (Comment revivre sans Internet après une overdose)
Ce livre de Thierry Crouzet (Éditions Fayard, 2012, 307 pages) est essentiellement un témoignage personnel. L’auteur est un des gourous français des réseaux sociaux et l’auteur de nombreux livres sur les nouvelles technologies numériques, dont la plupart ont d’ailleurs été publiés en dehors des circuits traditionnels du livre papier. Blogueur quasi-professionnel (même s’il ne gagne pas d’argent avec son blog), il est un véritable passionné du numérique et concentre l’essentiel de sa réflexion et de son écriture sur l’impact de ces nouvelles technologies sur l’avenir du monde.
Devenu, au fil des ans, un terrible accro du Net, son corps le place au pied du mur en février 2012. Croyant faire une crise cardiaque, il est obligé de questionner son rapport à la Toile et c’est ce qui le conduit à décider d’une cure radicale : se débrancher totalement pendant six mois. C’est cette aventure personnelle qu’il raconte sous la forme d’un journal qui va de septembre 2010 à novembre 2011.
Je pensais bien me contenter de survoler le contenu, mais je me suis fais prendre! J’y ai retrouvé, sous des formes bien différentes, « mon semblable, mon frère » (Beaudelaire) : quelqu’un qui « pense tout le temps », qui se passionne pour l’avenir du monde et les enjeux contemporains, qui ne peut s’empêcher d’apporter sa contribution « pour (tenter de) changer le monde », qui choisit de se mettre en retrait de l’activité utile ou de la militance pour une période prolongée, qui est plongé dans tout le questionnement que cela entraîne (y compris avec ses proches et sa famille : il a une conjointe bien « groundée », Isa, et deux jeunes garçons, Émile et Thimothée), etc. Je ne pouvais m’empêcher de faire un certain parallèle avec mon exil volontaire actuel à Scotstown.
Ce livre n’est pas une réflexion d’ensemble (comme celle de Déconnectez-vous!) mais plutôt le récit, chargé d’anecdotes, de contradictions et d’émotions, d’une véritable cure de désintoxication. L’écriture est alerte et vivante, les textes courts, la démarche attachante. La compagne de l’auteur, Isa, sert régulièrement de contrepoint terre-à-terre aux envolées de son auteur de conjoint : un délice de lecture.
Revenu sur Internet au terme de sa cure, l’auteur n’a pas cessé de bloguer et de publier depuis, mais en gardant un certain nombre d’acquis de sa cure volontaire. Trois ans plus tard, il s’en explique d’ailleurs dans un récent blogue.
Débranché, mais pas déconnecté
Sous-titré « Mieux gérer son rapport aux technos pour retrouver l’équilibre dans toutes les sphères de sa vie », ce livre de Frances Booth (Les Éditions Transcontinental, 2014, 245 pages) est plutôt un outil pratique pour aider les personnes à mieux gérer leurs rapports quotidiens avec les divers outils numériques (courriels, médias sociaux, téléphones intelligents, Internet).
L’auteure, longtemps journaliste spécialiste des questions technos au journal britannique The Guardian, est maintenant consultante sur ces questions auprès de grandes entreprises. Publié par une maison d’édition qui se spécialise dans les livres de motivation et les manuels pratiques de type anglo-saxon « how to », ce livre (traduction de « The Distraction Trap ») ne m’attirait guère. Et sa méthode « en 9 étapes » n’avait rien pour me convaincre davantage!
Mais j’avais tort : l’auteure identifie fort bien le problème important de « distraction » qui est le résultat inévitable des nouvelles technologies numériques et elle en fait sa première partie (comment nous vivons, ce que nous avons perdu, pollution mentale : les quatre démons numériques). Et tout le reste du livre est consacré à développer notre capacité « d’attention » et de « concentration » grâce à de multiples conseils et à l’identification des principaux pièges à éviter. Au fond, ce livre se veut un outil pour permettre aux usagers des nouvelles technologies de « redevenir le chef d’orchestre de votre vie », pour reprendre le titre du dernier chapitre.
J’ai déjà été profondément surpris et stimulé par un livre que j’avais d’abord négligé pour des raisons semblables (livre de motivation autour de la méthode « how to ») : le livre de Joe Dominguez et Vicki Robins, Votre vie ou votre argent?, publié aux Éditions Logiques, est même devenu l’un des livres que j’ai le plus souvent recommandé aux personnes intéressées à questionner leur rapport à l’argent ou à la consommation.
Et même si mon enthousiasme en faveur de Débranché, mais pas déconnecté est loin d’égaler celui pour le livre de Dominguez et Robins, le livre de Frances Booth peut s’avérer très utile aux gens qui sont davantage intéressés par des moyens concrets pour régler certains problèmes que par la réflexion sur la place et les enjeux du numérique dans notre société. Mieux encore, la toile de fond qui sous-tend les « trucs » proposés par Booth rejoint tout à fait l’analyse plus globale que propose Oudghiri et l’expérience concrète que raconte Crouzet.