Vivre ou regarder vivre?

Désolé d’avoir manqué mon rendez-vous de vendredi : j’étais parti pour une fin de semaine intensive de chorale qui prépare Le Messie de Haendel pour décembre.

Mais ça m’a inspiré la réflexion d’aujourd’hui : vivre consiste-t-il à vivre soi-même ou à regarder (écouter, voire admirer) les autres vivre? Et la question se pose de plus en plus, dans tous les domaines.

Bien sûr, il n’y a pas qu’une seule réponse, et encore moins une seule bonne réponse! Mais l’évolution de la technologie a rendu possible, et de plus en plus accessible au grand nombre, la reproduction ou la projection de la vie des autres : mass médias dont l’origine date à peine du début du 20e siècle et dont plusieurs (en particulier la télévision, puis toute la famille des ordinateurs) sont beaucoup plus récents.

Dès l’apparition de l’être humain, celui-ci devait tout faire lui-même pour survivre : chasser puis cultiver, cuire, manger et, quand il restait du temps, parler, réfléchir, jouer, chanter ou danser. Puis, peu à peu, sont apparus et se sont développés la spécialisation et le partage des tâches : mais tout le monde avait la sienne et participait directement au bien-être du groupe.

The Singing Revolution

Mais avec le « progrès » (?) et l’accumulation de la « richesse » (?), certains humains ont pu de plus en plus déléguer leur participation aux tâches de la collectivité : faire travailler les autres, faire produire les autres et, moyennant argent, se contenter de profiter du travail des autres. Tout le monde n’a plus besoin de chasser, de cultiver, de cuire, de parler, de réfléchir, de jouer, de chanter ou de danser lui-même : seul reste impossible à déléguer le fait de manger (ou de consommer) soi-même!
Et c’est bien ce qui se produit : grâce à la télévision, au cinéma ou à l’ordinateur, nous regardons de plus en plus les autres vivre à notre place. Nous ne faisons plus de musique (comme presque tout le monde faisait dans les familles avant l’arrivée du disque et de la radio), nous l’écoutons dans les shows et sur les multiples supports électroniques. Nous ne faisons plus de sport, nous regardons ou adulons les équipes ou les athlètes professionnels. Nous ne dessinons plus nous-mêmes, nous faisons dessiner les innombrables logiciels de plus en plus sophistiqués. Nous rencontrons et connaissons de moins en moins nos voisins réels, pour nous impliquer dans le changement et l’amélioration de notre milieu de vie immédiat; mais nous sommes en liens virtuels avec des « amiEs » du bout du monde pour jouer en réseau ou simuler la réalité.
Je n’ai rien contre les médias ou l’ordinateur. Ni contre la lecture, la fréquentation des cinémas ou la visite des musées : toutes activités qui s’appuient sur la production d’autres personnes et sur leur rencontre à travers des formes diverses de médiation (œuvre littéraire, cinématographique, picturale ou autre). Mais l’excellence à laquelle peuvent prétendre les grands artistes, les inventeurs, les champions et autres « personnalités de la semaine » devraient essentiellement être comme des aboutissements ou des symboles de notre propre activité. Les Jeux olympiques et autres festivals, championnats ou congrès mondiaux, n’ont de sens que s’ils célèbrent les meilleurs de nos propres efforts. Et non pas s’ils deviennent des spectacles de quelques uns pour la consommation passive du plus grand nombre.
La société est une production continue de chacunE de nous. Et non le simple résultat ou portrait, a posteriori, de nos passivités ou de nos consommations cumulées, c’est-à-dire de ce que d’autres ont fait pour nous ou à notre place.
La simplicité volontaire encourage les gens doués, artistes, vedettes ou champions, tous domaines confondus, à la fois pour leur propre réalisation personnelle et pour les œuvres ou les exemples qu’ils peuvent fournir à leur communauté. Mais la simplicité volontaire préfère, et de loin, des personnes qui travaillent, chantent, inventent et jouent eux-mêmes, certes moins bien que les meilleurs ou les vedettes, mais régulièrement et collectivement. Car ils sont la condition d’une société vivante (ils peuvent même être à l’origine d’une révolution comme l’a montré l’admirable documentaire The singing revolution) et ont de meilleures chances d’y trouver le bonheur, ce bien précieux qui se fabrique beaucoup plus qu’il ne se consomme.

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