Pour la 19e année, une Journée internationale sans achat a été organisée (le vendredi 26 novembre en Amérique du Nord et le samedi 27 ailleurs dans le monde) dans une cinquantaine de pays. Initiée par la revue Adbusters de Vancouver en 1992, elle est une invitation à expérimenter ce que pourrait être la vie sans tous ces rapports marchands qui l’envahissent, la tissent et la conditionnent infiniment plus que nous n’en avons conscience.
Au fond, la Journée sans achat est une occasion de réfléchir sur les liens omniprésents que nous avons avec la consommation de biens et services. D’en prendre conscience. Que reste-t-il de la vie si on supprime les achats et tout ce qu’on doit faire pour se procurer l’argent nécessaire aux achats? Occasion d’arrêt momentané pour regarder ce que nous ne prenons plus le temps de voir dans le brouhaha quotidien et la course folle que sont souvent devenues nos vies.
Le Réseau québécois pour la simplicité volontaire s’implique, depuis quelques années, pour diffuser au Québec cette Journée sans achat : présence dans les médias, mais surtout, depuis 2009, une colorée « campagne de vaccination contre la fièvre acheteuse » grâce au vaccin HA 7AC récemment mis au point!
Cette année, la Journée sans achat coïncidait avec l’État d’urgence organisé, pour la 12e année, par l’ATSA (Action terroriste socialement acceptable) : quatre jours d’accueil, de rencontres, de partage et de fête pour et avec les itinérantEs qui vivent dans les marges de notre prospérité le reste de l’année. Et avec le lancement du dossier « Vivre à crédit » publié par la revue Relations (no 745, décembre 2010).
Le dossier étudie le phénomène de l’endettement et montre comment celui-ci est non seulement un problème grandissant et préoccupant, mais surtout un véritable système, planifié et indispensable à la croissance capitaliste. Si les ménages canadiens et québécois doivent déjà, en moyenne, 145 % de leur salaire au moment où ils le reçoivent, ce n’est pas uniquement une question de manque de discipline budgétaire. C’est avant tout le produit d’une économie qui fait passer la croissance avant la réponse aux besoins des humains; et qui pour croître sans cesse a besoin de produire toujours plus de biens et services… et de les vendre. Quitte à prêter massivement à tout le monde pour en faire les consommateurs de cette production toujours renouvelée et plus abondante! La question ici n’est pas de savoir si les gens en ont les moyens, ni même le besoin, mais bien de faire « tourner l’économie » et croître le PIB.
D’ailleurs les banques ont bien étudié la question. Elles savent que près de 4 % du crédit qu’elles accordent si agressivement (on offre maintenant des cartes de crédit dans les écoles secondaires, les centres d’achat, par la poste, sans compter les augmentations de marge de crédit non sollicitées) ne sera pas remboursé. Et que pour la majorité des autres 96 %, les consommateurs vont souvent se contenter de payer le solde mensuel minimum (3 % ou même 2 % seulement), s’endettant toujours plus et leur payant ainsi des sommes cumulatives astronomiques en intérêts, compensant ainsi très largement les pertes encourues à cause du 4 % de mauvais créanciers! Mais surtout, elles permettent ainsi à la machine économique capitaliste de continuer à produire des profits… qui profitent beaucoup plus à la minorité qui occupe le haut de l’échelle sociale qu’à la majorité des citoyenNEs.
On m’avait demandé d’écrire un texte pour ce dossier « Vivre à crédit » sur les différents moyens développés pour combattre l’endettement (publié finalement sous le titre Repenser nos modes de vie). Et plus je travaillais à cet article, plus j’arrivais à cette conclusion aussi imprévue qu’incontournable pour moi : la seule façon de sortir durablement de l’endettement, individuel et collectif, est d’accepter de sortir du capitalisme lui-même. Et de développer un autre modèle économique, fondé sur des valeurs et des postulats différents de ceux du capitalisme.
Vaste programme, évidemment, mais qu’on ne pourra pas repousser encore bien longtemps. Les grands bonzes de l’économie et de la politique, un peu partout dans le monde, avaient dit quelque chose de semblable au plus fort de la crise économique de 2008-2009 : « il faut réformer et repenser le capitalisme ». Deux ans et des centaines de milliards de dollars plus tard, maintenant que le pire semble passé, on a oublié ces quelques instants de lucidité et on est revenu au bon vieux « business as usual ».
Mais les contraintes écologiques, la montée en puissance (économique et politique) des géants asiatiques que sont la Chine et l’Inde (plus du tiers de la population mondiale à eux seuls!) et l’épuisement rapide des ressources à mesure que la demande augmente massivement vont rapidement nous ramener à la dure réalité!
Le modèle capitaliste basé sur la croissance illimitée a connu ses meilleurs jours et tire à sa fin. La plupart ne s’en rendent pas encore compte. Mais ceux et celles qui savent voir au-delà du bout du nez en ont déjà fait le constat et tiré les conséquences. Ce sont eux qu’on retrouve dans les nombreux mouvements alternatifs, qui initient et explorent des façons nouvelles de vivre ensemble : simplicité volontaire, décroissance, partage et communauté, propriété collective (comme les diverses formes de coopératives) ou même renonciation totale à la propriété (comme, en informatique, le mouvement des logiciels libres).
Je suis convaincu que l’avenir (si nous parvenons à nous donner un avenir) leur appartient. Et vous, d’accord ou pas?