Empreinte écologique zéro : c’est possible!

Est-il possible de vivre en 2011 en ayant une empreinte écologique presque nulle? Et en plein cœur de New York par-dessus le marché? OUI, aussi surprenant que cela puisse paraître!

Entendons-nous dès le départ. Une empreinte écologique (c’est-à-dire la superficie géographique nécessaire pour subvenir aux besoins de quelqu’un et absorber ses déchets*) n’est jamais totalement nulle : nous utilisons toujours un minimum de ressources, même quand nous nous efforçons de limiter celles-ci au minimum et d’utiliser des ressources renouvelables autant que possible. C’est pourquoi « l’empreinte écologique zéro » est davantage une orientation et un cri de ralliement utile qu’une réalité scientifique. Et c’est aussi le sens de l’expérience de Colin Beavan dont je veux vous parler aujourd’hui.

No Impact Man est à la fois une expérience, un livre (Éditions Fleuve Noir, 2010, 276 pages), un film documentaire (par Laura Gabbert et Justin Shein, 90 minutes, disponible entre autres à la Grande Bibliothèque à Montréal) et un projet mobilisateur. Le nom No Impact Man fait évidemment référence aux super héros américains Superman, Spiderman, etc. Et notre nouveau super héros écologique sera Colin Beavan, écrivain et journaliste pigiste, qui vit à New York avec sa femme, Michelle Conlin, rédactrice principale au magazine Business Week, leur fille Isabella, deux ans, et leur chien de quatre ans, Frankie. À la différence près que notre super héros vit dans le réel plutôt que dans une bande dessinée.
Préoccupé par l’impuissance qu’il ressent face au sort de la planète, il décide de vérifier par lui-même s’il est possible de vivre autrement : est-il possible, pour une famille « ordinaire », de vivre sans produire de déchets, avec le minimum d’impact sur la planète (se déplacer sans énergie fossile, ne pas utiliser d’électricité, ne manger que des produits locaux, etc.). À la fin de novembre 2006, il se lance avec sa famille dans cette folle aventure d’une année complète. Aventure d’autant plus surprenante (et instructive) que sa femme, Michelle, vient d’une riche famille du sud des États-Unis, qu’elle est une « accro » de la télévision (particulièrement des séries de téléréalité!) et qu’elle est au départ beaucoup moins préoccupée d’écologie que son mari.

No Impact Man est pour moi le livre le plus intéressant que j’aie lu sur les questions de simplicité volontaire, de décroissance ou de modification de nos styles de vie. Et j’en ai lu un paquet! Pas le meilleur, le plus complet ou le plus approfondi, mais le plus intéressant. C’est-à-dire celui qui suscite et captive le plus notre intérêt, celui qui est le plus agréable et fascinant à lire, celui qui nous entraîne le plus dans sa dynamique. Parce qu’il s’agit d’une véritable aventure humaine, vécue par une famille concrète en chair et en os, qui nous ressemble par tellement de nos résistances et de nos contradictions, qui affronte les mêmes problèmes que nous, et à laquelle on ne peut que s’identifier. Et moi, qu’est-ce que je ferais à leur place? Et si eux ont été capables de le faire, ne pourrais-je pas le faire, du moins sur tel ou tel point, moi aussi?

Au fur et à mesure que l’auteur et sa famille sont confrontés à un nouveau choix (car ils ont eu la sagesse de ne pas vouloir tout changer d’un seul coup mais au contraire de procéder méthodiquement par étapes), il ne se contente pas de raconter l’expérience, avec force anecdotes souvent très rigolotes (c’est un excellent conteur), mais il nous introduit naturellement à la problématique qu’il cherche à résoudre, fournissant beaucoup d’informations utiles sur l’état des problèmes écologiques actuels : les déchets que nous produisons, l’énergie que nous consommons, notre rapport à la consommation, l’état de notre alimentation, etc. En ce sens, ce n’est pas un manuel mais plutôt un livre (d’histoires) d’écologie pratique. Pratique à la fois parce que axé sur l’action bien concrète et parce que l’information est intimement liée à nos choix quotidiens.

Mais plus intéressant et significatif que tout le reste, c’est le fait que Colin et sa famille se rendent compte peu à peu, et nous le montrent concrètement, que ces choix écologiques radicaux (vivre sans électricité à New York, et donc sans ascenseur, quand on travaille avec un ordinateur, qu’on habite au 9e étage, qu’on travaille ailleurs au 12e, qu’il faut conduire et chercher sa fille à la garderie sans auto ni transport en commun, et descendre le chien pour sa promenade deux fois par jour!) les rendent plus heureux, plus en santé, plus proches de leurs amiEs, avec plus de temps libre et de proximité comme famille, etc. Bref, qu’ils vivent mieux avec infiniment moins. Et cela, non pas en théorie comme l’affirment tous les livres sur la simplicité volontaire, mais bien concrètement à partir de plein d’exemples puisés dans la vie de tous les jours. Comme Michelle Conlin, l’accro de la télé, qui décide d’elle-même de sortir la télé de la maison et qui raconte tous les bienfaits qu’elle en a retirés!

Ce qui ne devait être qu’une expérience d’une année, destinée à publier un livre sur l’expérience vécue, s’est peu à peu transformé en une véritable mission et expertise pour aider à transformer nos comportements. Colin Beavan a commencé un blogue en février 2007, qu’il n’a cessé d’alimenter depuis, et qui était d’abord destiné à partager l’expérience en cours de route et à demander de l’aide concrète pour résoudre les problèmes qu’il rencontrait. L’expérience a ensuite suscité le projet de film documentaire qui accompagne les protagonistes au-delà de la fin de l’expérience comme telle. La démarche et le blogue ont ensuite débouché sur la création d’outils pédagogiques destinés aux écoles, mais aussi du projet No Impact Man qui permet à tous les intéressés d’expérimenter eux-mêmes la démarche de la famille Beavan en procédant par étapes, avec l’aide d’Internet, pendant une semaine ou un mois.

Une belle aventure individuelle et familiale, comme il y en a tant dans tous les domaines, mais qui cette fois débouche sur un engagement collectif à la fois attrayant et nécessaire. Ce n’est pas si courant et ça mérite le détour!

Dites-moi ce que vous en pensez. Et à la semaine prochaine.

*  Ce concept, développé par William Rees et Mathis Wackernagel dans Notre empreinte écologique (Écosociété, 1999, 209 pages), permet de mesurer la quantité nécessaire de ressources de la planète (territoire, forêt, eau, minerais, espace, énergie, etc.) pour chacun de nos choix quotidiens : se loger, se vêtir, se nourrir, se déplacer, etc. Cet outil d’analyse permet aussi de mesurer, en équivalent surface, quelle quantité de ressources planétaires serait théoriquement disponible pour chaque humain si on les répartissait également. Et comme les ressources planétaires sont limitées (même en tenant compte de certaines ressources renouvelables) et que le nombre d’humains continue d’augmenter, la part des ressources disponibles pour chacunE devrait logiquement diminuer sans cesse. Or tout le monde ne rêve que d’avoir plus et nos responsables politiques ne parlent que de croissance. D’où le cul-de-sac inévitable. Pour que tous les humains puissent vivre comme des Occidentaux, il nous faudrait l’équivalent d’entre 3 et 5 planètes Terre!

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