Nous avons vu, ma compagne et moi, un film magnifique qui m’a immanquablement fait songer à la simplicité volontaire : Le poème (Poetry) du cinéaste coréen Chang-dong Lee. Quelque 2 h 20 de pur enchantement qu’on ne voit pas passer. Dépêchez-vous d’aller le voir (si vous le pouvez) car ces petits bijoux n’ont malheureusement pas la même diffusion et longévité que les superproductions d’Hollywood.
En deux mots, une grand-mère (comédienne célèbre en Corée mais inconnue ici, qui crève littéralement l’écran), qui héberge son petit-fils et présente les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer, trouve dans la poésie une raison et un moyen de continuer à vivre. Et malgré la tragédie qui la rejoint à travers son petit-fils, elle s’obstine à regarder le monde et la vie avec les yeux neufs de la poésie.
Une façon de nous rappeler l’essentiel, dans une grande simplicité narrative et avec tout le temps nécessaire pour apprendre à « voir » autour de soi. Et de constater que cette simplicité n’exclut ni la beauté (ni même la coquetterie), ni la difficulté, mais qu’elle permet un bonheur qui transcende les aléas du quotidien et des apparences.
Une leçon de vie et de cinéma…
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Je viens de terminer la lecture d’En panne sèche, roman allemand d’Andreas Eschbach (2007), publié en français par la Librairie L’Atalante (Nantes, 2009, 765 pages). Et je n’ai pas pu m’empêcher de faire un parallèle avec le premier roman de Jacinthe Laforte, Cité Carbone, dont j’ai déjà parlé dans ce carnet.
Non pas qu’ils se ressemblent : en fait, ils peuvent difficilement être plus différents, à tous points de vue. Mais ils abordent tous deux, par le biais de la fiction (et donc d’une manière plus agréable et « acceptable », pour la plupart des lecteurs, que la dure réalité d’un essai), la fin du pétrole à bon marché, ce qu’on appelle aussi le « pic pétrolier » avec ses conséquences plus ou moins dramatiques et rapides.
En panne sèche est passionnant. Il en mène large, nous promenant d’Allemagne aux États-Unis, en passant par l’Arabie Saoudite, le Brésil, la Chine, etc. Construit d’une manière inhabituelle (chaque chapitre oscillant entre le passé, le présent, le futur ou même le passé… antérieur), il nous fait découvrir et suivre l’histoire suivant différentes temporalités, ce qui rend peut-être plus « naturelle » l’évolution vers des questionnements de plus en plus dérangeants. L’auteur a d’ailleurs donné une entrevue fort intéressante sur les enjeux soulevés par son roman (notez en particulier sa façon de comprendre la consommation et sa place dans notre société).
Car dans les deux romans, la question épineuse déjà abordée ici (« que ferons-nous quand la situation deviendra beaucoup plus difficile et que nos sécurités actuelles diminueront ou disparaîtront carrément? ») est traitée avec lucidité, courage et imagination. Comme la plupart d’entre nous préfèrent ne pas trop y penser, ou remettent ce questionnement à plus tard (« on traversera la pont quand on arrivera à la rivière ») jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de l’éviter (l’auteur allemand affirme d’ailleurs, en entrevue, avoir constaté qu’on « sait déjà tout ce que j’explique dans mon roman, mais qu’on préfère l’ignorer»), il est utile que des romanciers nous fournissent l’occasion ou le prétexte pour affronter ces questions sans trop de mal, par le truchement du roman.
La différence de perspective entre En panne sèche et Cité Carbone, c’est que le premier situe le problème dans toutes ses dimensions (technologiques, géopolitiques, économiques, etc.) avant de passer à ses conséquences probables (la fin du pétrole bon marché n’arrive qu’à la fin de la première partie, après 35 chapitres –sur 55– et 483 pages), alors que le second traite uniquement de ces conséquences probables dans un milieu beaucoup plus circonscrit et familier (Montréal et ses environs dans un avenir pas très lointain). Si En panne sèche fournit aussi, à travers sa trame fictive, une grande quantité d’informations factuelles historiques (l’état des gisements pétroliers mondiaux, l’histoire des relations américano-saoudiennes, l’évolution des techniques productives d’énergie, etc.), Cité Carbone a une ambition plus limitée et ciblée : nous proposer un regard prospectif sur ce à quoi pourrait ressembler notre propre réalité immédiate dans un avenir proche, si la crainte d’un pétrole beaucoup plus cher (parce que plus rare en raison de la demande sans cesse croissante) s’avérait juste.
Deux romans très différents mais complémentaires, qui pointent dans la même direction. Et qu’il vaut la peine de lire!
Merci pour cet article. Je ne sais pas si Poetry passe en France, mais si c’est le cas, je vais y aller à coup sûr.