La pauvreté: boussole pour un «autre monde possible»?

402471_fVoici la première de la série des cinq interventions préparées pour le Forum social mondial (FSM) ou le Forum mondial théologie et libération (FMTL) qui s’est tenu à Montréal à l’occasion du FSM. Cette première intervention a été présentée au FMTL le 8 août 2016.

 

Clarifions le vocabulaire

  • commençons par clarifier le vocabulaire: au Québec, l’expression «simplicité volontaire» a été popularisée surtout depuis 1998, au point d’entrer dans le dictionnaire de l’Office québécois de la langue française et de donner naissance au nom «simplicitaire»; la SV a aussi essaimé en Europe francophone (surtout en Belgique et en France)
  • l’expression a été créée en Inde par Richard B. Gregg, un disciple américain de Gandhi en 1936, donc bien avant la société de consommation; pour Gregg, il s’agit de vivre de manière «intentionnelle» (volontaire) et de ne pas se laisser distraire par tout l’accessoire (simplicité); l’expression a été ressuscitée en 1976 aux États-Unis par Arnold Mitchell et (surtout) par Duane Elgin qui allait publier le livre déclencheur, Voluntary Simplicity, Toward a Way of Life That Is Outwardly Simple, Inwardly Rich, en 1981
  • le même courant social existe, un peu partout dans le monde, sous un grand nombre d’appellations diverses: simple life, minimalism, buen vivir, sobriété heureuse, assez, slow, etc.

Faut-il parler de «pauvreté»?

  • et j’ai la prétention ou l’audace d’oser l’appeler «pauvreté», à la suite du penseur et diplomate iranien Majid Rahnema dans son maître livre Quand la misère chasse la pauvreté publié chez Fayard/Actes Sud en 2003; essentiellement pour redonner ses lettres de noblesse au mot pauvreté en retrouvant son sens originel qu’il a conservé jusqu’au début de la première révolution industrielle vers 1850: la pauvreté (un mot positif) était jusqu’alors totalement distincte de la misère (un mot négatif) et c’est donc depuis moins de deux siècles que les deux mots sont devenus peu à peu synonymes et également repoussants
  • la pauvreté était traditionnellement, dans toutes les sociétés, la condition commune à la vaste majorité des humains, et donc la normalité (il y avait certes des rois ou des seigneurs, mais ces exceptions n’étaient pas accessibles ni enviées par «le commun des mortels»); cette pauvreté/simplicité n’était pas vraiment un choix à l’époque, sinon pour les religieux ou les sages que leurs maîtres avaient invités à adopter ce mode de vie, à la fois par solidarité avec la population et parce qu’il était une voie vers la sagesse (en passant, il est impossible de comprendre le voeu —le choix— de pauvreté si celle-ci n’est pas une réalité positive, à moins d’être masochiste!)
  • ce travail (politique et culturel) de ré-appropriation et de revalorisation du mot «pauvreté» n’est pas anodin (j’y ai d’ailleurs consacré une partie de mon plus récent livre, La «pauvreté» vous rendra libres! publié chez Novalis en 2016):
    • d’abord parce qu’il fait partie du travail de «décolonisation de notre imaginaire collectif» qui est indispensable si nous voulons pouvoir penser, agir et vivre «autrement», condition sine qua non pour tout «autre monde possible»
    • et parce qu’il remet en question, implicitement mais radicalement, le moteur même du monde actuel que nous voulons changer, c’est-à-dire l’argent et la course à la richesse
  • pour la suite de cet atelier, j’utiliserai donc principalement le mot «pauvreté», mais pas du tout dans le sens que lui donnent les dictionnaires d’aujourd’hui (c’est-à-dire au sens des mots misère, privation, échec, bas de l’échelle sociale); je l’utiliserai toujours au sens originel du terme, c’est-à-dire au sens de vie simple, de la «bonne vie», axée sur les besoins essentiels et dépouillée des innombrables artifices qui nous sont maintenant présentés comme indispensables au bonheur (mais qui, comme ils sont par définition très sélectivement accessibles, sont à la source permanente de frustration, et donc de malheur!)

Simplicité, pauvreté et religion

  • cet atelier se situant dans le cadre du FMTL, il est utile d’aborder rapidement les rapports entre pauvreté, simplicité et religions (je ne prétends absolument pas à une connaissance approfondie du sujet; mais je veux quand même en souligner quelques aspects importants)
  • la plupart des grandes traditions religieuses ont parlé, d’une manière ou d’une autre, de l’importance de la simplicité, de la sobriété ou de la pauvreté: pour elles, l’attachement aux biens matériels est un sérieux obstacle sur la voie de la connaissance ou de l’union à Dieu; pour beaucoup de philosophes anciens non religieux, la simplicité ou le contentement sont aussi des voies privilégiées vers la sagesse
  • la pauvreté n’est donc pas présentée comme une renonciation, une privation ou un sacrifice (cette vision sacrificielle ou méritoire de la pauvreté viendra beaucoup plus tard, en même temps que cette vision colore tout le christianisme: «souffrir sur terre pour mériter le ciel»; une vision souffrante de la vie chrétienne qui est complètement refusée et rejetée aujourd’hui en Occident, comme doloriste et masochiste) mais comme un choix pour la «meilleure part», un chemin privilégié vers Dieu, le bonheur et la liberté
  • de même que la pauvreté ne va devenir le concept négatif que nous connaissons aujourd’hui (synonyme de privation et de misère) qu’à partir de la révolution industrielle, vers 1850, de même le choix de la pauvreté pour des raisons religieuses ou spirituelles ne va devenir difficile à comprendre et à vivre qu’à partir de cette époque où elle cesse d’être la condition commune, avec l’urbanisation et l’industrialisation, pour se transformer graduellement en «échelle sociale» que chacun est désormais invité à grimper
  • tant que la vie simple ou pauvre est vécue par la quasi-totalité des humains, souvent de manière communautaire, il n’y a pas vraiment de quoi s’en désoler ou être malheureux; c’est à partir du moment où la condition sociale se différencie et qu’il y a de quoi se comparer à d’autres qu’on pourrait (et qu’on veut bien sûr) imiter que les sentiments de privation, d’envie et de frustration se développent: c’est la richesse enviée qui crée la pauvreté malheureuse
  • dans ce contexte, plus notre société actuelle met la priorité sur la richesse comme condition du bonheur, plus la pauvreté devient obsolète, incompréhensible et «scandaleuse» (et je ne parle pas ici des inégalités et des injustices dans la répartition des biens essentiels qui est, effectivement, tout à fait scandaleuse! Je parle plutôt de «faire scandale», au sens évangélique du terme, quand on choisit la pauvreté/simplicité dans un monde qui ne valorise que le contraire)
  • et c’est pourquoi, dans notre Occident d’abondance, le témoignage lumineux de la pauvreté/simplicité heureuse, qu’il soit porté par une démarche spirituelle ou non, est si capital pour l’avènement d’un «autre monde possible»

Pourquoi est-ce fondamental pour «un autre monde possible»?

  • il y a plein de raisons pour lesquelles des individus, des couples ou des familles peuvent choisir la SV (pour l’instant, personne n’oserait dire qu’il choisit la pauvreté!): besoin de ralentir, de diminuer les exigences financières, de se désencombrer de tout ce qui assaille ou alourdit nos vies, de diminuer son empreinte écologique, de dégager plus de temps pour ce qui nous tient à coeur, de se recentrer sur l’essentiel, etc.; la simplicité de vie peut être utile de mille et une manières
  • mais ce qui nous intéresse dans cet atelier n’est pas tant les motivations individuelles de faire ce choix, mais plutôt pourquoi ce choix devrait être au coeur du projet de nouveau monde que nous voulons bâtir
  • et cette raison est double:
    • parce que la pauvreté est une condition pour la simple survie de l’humanité (aussi bien dans le monde actuel que dans un «autre monde possible»
    • et parce que la pauvreté (bien comprise, évidemment!) est un chemin privilégié pour conduire vers un monde «autre» que le monde actuel

Condition de survie pour l’humanité (l’empreinte écologique)

  • condition de survie de l’humanité: notre monde actuel atteint rapidement ses limites, particulièrement au niveau de la capacité de la planète à fournir aux presque 7.5 milliards d’humains (sans doute 10 milliards avant la fin du siècle) ce qu’ils utilisent actuellement pour vivre
  • c’est la notion d’empreinte écologique (apparue en 1992 avec la Conférence de Rio sur l’environnement) qui a permis de mesurer, de manière comparable, ce que nous utilisons comme ressources de la planète pour vivre la vie que nous vivons (l’empreinte moyenne étant bien différente selon les pays et les modes de vie); l’ouvrage de référence en français demeure Notre empreinte écologique de Mathis Wackernagel et Williams Rees (Écosociété, 1999)
  • jusqu’au milieu des années 70, l’ensemble de l’humanité n’utilisait pas plus de ressources (eau, air, énergie, forêts, mines, terres cultivables, poisson, faune et flore, etc.) chaque année que la Terre n’était capable d’en renouveler (autrement dit, nous vivions sur les intérêts du capital sans avoir besoin de gruger celui-ci); depuis ce temps, l’humanité n’a pas cessé, chaque année, d’utiliser plus de ressources que la Terre n’en renouvelle, et donc de puiser de plus en plus dans son capital (ce qu’on appelle utiliser plus qu’une planète); et pour visualiser ce dépassement des capacités de régénération de la planète, on a inventé le «jour du dépassement», c’est-à-dire le jour de l’année où l’humanité a fini d’utiliser la capacité renouvelable des ressources planétaires et où elle commence à gruger sur son «capital» (et donc à vivre collectivement «à crédit»); ce jour du dépassement, qui se situait en décembre à la fin des années 70, n’a cessé d’être devancé pour atteindre la mi-octobre en 1990, septembre en 2002, le 28 août en 2010 et le 8 août en 2016
  • cette situation, parfaitement suicidaire sur le long terme, s’explique facilement: la population mondiale augmente considérablement chaque année et les conditions de vie (des plus pauvres comme des plus riches) ne cessent de s’améliorer (de manière relative): les ressources de la planète (qui sont limitées/finies, comme une tarte) doivent donc être partagées entre de plus en plus de convives (ce qui devrait normalement diminuer la portion de chacun); et pourtant, chacun des convives veut chaque année une plus grosse pointe de tarte (d’où l’image du nombre de planètes/tartes qui seraient nécessaires pour accommoder tous les convives)
  • cette notion d’empreinte écologique collective (trop lourde pour la capacité de la planète de la supporter) a cependant été supplantée, dans le débat politique planétaire, par l’urgence des changements climatiques; l’influence des comportements humains sur ces changements climatiques a longtemps été mise en doute par tous ceux qui avaient intérêt au maintien du statu quo; maintenant, ces débats sont essentiellement derrière nous: l’immense majorité des scientifiques, des décideurs politiques et des médias ne contestent plus ni l’existence des changements climatiques, ni l’influence des gaz à effet de serre dans ces changements climatiques; même les effets catastrophiques de ces changements (si l’augmentation de la chaleur moyenne dépasse 1.5 ou 2 degrés Celsius) ne sont plus vraiment contestés (sinon que le réchauffement semble se produire toujours plus vite que les plus récentes prévisions); seule la volonté politique sérieuse et décisive semble manquer un peu partout
  • donc pour cette double raison (empreinte écologique et changements climatiques), la modification de nos comportements dans le sens d’une (beaucoup) plus grande sobriété est de plus en plus, littéralement, une question de survie de l’humanité

Chemin privilégié vers un monde «autre» (changer le paradigme de l’argent)

  • chemin privilégié vers un autre monde: notre monde actuel (celui que nous voulons changer radicalement) est axé fondamentalement sur l’argent (tout se mesure à l’aune de sa valeur monétaire), sur l’économie (mondialisée et financiarisée), sur la croissance (économique qui devient l’objectif et le critère des choix politiques), sur l’accumulation de la richesse (sinon comme mesure, du moins comme ingrédient essentiel du bonheur), sur la compétition («qui n’avance pas, recule» ou «manger avant d’être mangé») et sur la propriété privée (un des piliers de l’individualisme, prolongé par l’accent mis sur les droits individuels, par les développements technologiques et par les intérêts commerciaux)
  • or la pauvreté/SV va radicalement (au sens de «à la racine») à l’encontre de toutes ces caractéristiques essentielles du monde actuel; la pauvreté remet en question la primauté de l’argent et de l’économie, refuse «la croissance pour la croissance» et une croissance mesurée essentiellement en termes économiques ou matériels, cherche le bonheur complètement ailleurs que dans la richesse matérielle, mise essentiellement sur la coopération plutôt que sur la compétition, et privilégie la propriété collective et le bien commun plutôt que la propriété privée ou l’arbitrage conflictuel des intérêts individuels

Comment vivre ce virage concrètement?

  • comment peut se vivre, concrètement, ce virage vers la pauvreté/simplicité?
  • il y a presque autant de manières de faire qu’il y a d’individus: en effet, la pauvreté est un état d’esprit tout autant qu’un état de fait (il n’y a —heureusement!— aucun catalogue ou catéchisme déterminant qui est pauvre, comment et à partir de quand); elle est surtout un cheminement, propre à chacun, dépendant à la fois du point de départ de facto et du point d’arrivée souhaité
  • l’autre raison importante pour laquelle la pauvreté ne peut se traduire en comportements uniformisés, c’est qu’elle est (comme la richesse) une réalité éminemment relative parce que toujours évaluée par comparaison (on est toujours à la fois le riche et le pauvre de quelqu’un d’autre: tout dépend à qui on se compare!); l’esprit de pauvreté/simplicité peut être identique partout, mais ses manifestations concrètes seront forcément différentes selon qu’on vit en Amérique du Nord ou en Afrique, dans une grande ville ou en région éloignée, qu’on est célibataire ou en famille avec plusieurs enfants, qu’on a 20 ans ou 80…
  • ce qui est cependant commun à la plupart d’entre nous, c’est que nous pouvons tous (et que nous devrons, idéalement par choix mais sans doute bientôt par nécessité) réduire considérablement les ressources en tous genres que nous utilisons: énergies fossiles ou renouvelables, eau, viandes, gadgets électroniques, tissus, kilomètres parcourus, etc. Qu’on vive au Nord ou au Sud, la grande majorité d’entre nous n’avons pas besoin d’une grande partie de ce que nous avons (comme biens matériels) ou de ce que nous gagnons (si nous faisons partie de la classe moyenne ou davantage) pour être heureux: la preuve? C’est que, paradoxalement, quel que soit la quantité de nos biens ou le montant de notre revenu, nous continuons d’en vouloir toujours plus (comme le disait un sage de l’Antiquité, «Est riche (et heureux) celui qui est content de ce qu’il a. Et est pauvre –et malheureux– celui qui est frustré de ce qu’il n’a pas.»)
  • parcourons notre maison, logement, appartement ou même notre simple chambre; et prenons le temps d’identifier les vêtements, la vaisselle et les outils de cuisine, les livres ou autre produits culturels, les appareils électroniques, les outils, les jeux ou équipements de loisirs, la papeterie ou le matériel de bureau, etc. que nous n’avons pas utilisés depuis un an, ou que nous n’utilisons que très rarement: avons-nous vraiment besoin de tout cela pour être heureux? bien sûr, cela peut toujours être utile à quelqu’un; bien sûr, cela peut nous faciliter la vie ou le travail; bien sûr, cela peut évoquer de bons souvenirs; bien sûr, certaines de ces choses ne nous ont rien coûté ou nous ont été données; mais en avons-nous besoin pour être heureux?
  • évidemment, cela va totalement à l’encontre de tout ce que l’on nous répète 1000 fois par jour, aussi bien à travers les appels politiques à la croissance que, surtout, à travers les innombrables publicités en tous genres, sans compter les valeurs dominantes véhiculées par les médias déclinés sur toutes les plate-formes informatiques
  • mais nous l’avons vu plus haut, ce virage radical s’impose sans tarder, à la fois pour éviter les dangereux culs-de-sac planétaires vers lesquels nous nous dirigeons à la vitesse Grand V et pour initier un nouveau monde basé sur des valeurs inverses de celles qui prévalent actuellement

Pourquoi faut-il être radical?

  • j’ai parlé de changements radicaux (qui vont à la racine): ça non plus, ça n’est guère populaire; on préfère les changements graduels, la négociation de compromis et les positions «équilibrées»
  • et pourtant, à bien des égards, nous n’avons plus ni le temps, ni le luxe de ces modifications progressives; dans le dossier des changements climatiques par exemple, nous aurions eu davantage de possibilités graduelles si les changements avaient débuté il y a 20 ou 30 ans, quand les premiers signaux d’alarme sont apparus; mais chaque année de retard a rendu la cible nécessaire beaucoup plus difficile à atteindre et avec toujours moins de temps pour le faire; en ce sens, si nous voulons vraiment éviter la catastrophe (déjà commencée quand on voit l’augmentation annuelle des événements météorologiques extrêmes), nos changements de comportements vont devoir être majeurs, massifs et dans un délai très court
  • depuis plusieurs années déjà, des penseurs importants annoncent un «changement d’ère» ou la nécessité d’un véritable changement de paradigmes (de la même manière que les scientifiques de la longue histoire terrestre parlent maintenant de l’ère anthropocène, celle où les activités humaines ont un impact global significatif sur l’évolution de l’écosystème terrestre); comme si l’humanité était appelée à un saut qualitatif important face à des défis totalement inédits
  • on le constate d’ailleurs non seulement au niveau environnemental (qui est à lui seul critique et urgent) mais à plusieurs autres niveaux:
    • au niveau politique: la Terre n’a jamais été aussi proche d’un grand village, la plupart des problèmes ne pouvant plus être résolus autrement qu’au niveau planétaire; les États ont de moins en moins de pouvoirs face à une économie mondialisée, une fiscalité délocalisée et des entreprises multinationales de plus en plus grosses et complexes
    • au niveau informatique: le développement exponentiel des capacités informatiques bouleverse une foule de domaines (la circulation et l’instantanéité de l’information; la lecture, l’éducation, les modes d’apprentissage et le cerveau lui-même; la transformation de tout —couleurs, sons, odeurs, mots, images, voire la pensée— en une succession binaire de 0 et de 1 modifie le rapport au monde; l’impact sur le réel du virtuel; etc.)
    • au niveau scientifique: les avancées spectaculaires de la science et de la médecine ne cessent de soulever de nouveaux problèmes éthiques, de la conception à la prolongation de la vie, en passant par la reproduction (clonage, cellules souches, génome humain, etc.) pour déboucher sur tout ce qu’on regroupe sous le terme «transhumanisme»
    • au niveau économique: les crises financières importantes, au niveau régional ou même international, se multiplient malgré des moyens économiques de plus en plus considérables et sophistiqués (pas moins de 425 crises économiques —145 bancaires, 208 monétaires et 72 crises de la dette souveraine— selon le FMI depuis 1971), la crise de 2007-2009 n’ayant pas encore fini de faire sentir ses effets et les promesses de réforme du capitalisme étant restées lettres mortes
    • et au niveau sécuritaire: les grands conflits inter-étatiques ou entre «blocs d’influence» sont de plus en plus choses du passé, remplacés par de nombreuses guerres internes, de certains foyers conflictuels purulents (le Moyen-Orient en particulier et le conflit israélo-palestinien), mais surtout par la prolifération inquiétante d’un terrorisme de plus en plus flou et décentralisé; menaces sécuritaires face auxquelles notre réflexe militaire et guerrier traditionnel est de plus en plus inadapté et incompétent
  • si bien qu’on peut raisonnablement conclure que les besoins et les conditions d’un tel changement qualitatif n’ont jamais été aussi grands et réunies que maintenant

Comment penser «hors de la boîte»?

  • que peut vouloir dire un tel changement radical, un tel saut qualitatif, un tel changement de paradigmes?
  • pour l’illustrer, je vais utiliser l’image du temps de travail en Occident: dans un grand nombre de pays, les employés travaillent 35 ou 40 heures par semaine en moyenne; proposer un changement du régime de travail pour faire passer le nombre d’heures hebdomadaires de 40 à 35, ou de 35 à 32.5 est un changement progressif/raisonnable/équilibré; il va susciter toutes sortes de débats, mais ne va rien changer à la logique en place; mais faire passer les heures de travail de 35 à 15 ou 20 heures par semaine est un véritable saut qualitatif, qui va nécessairement obliger à repenser le travail autrement
  • même chose pour l’exploration ou l’exploitation du pétrole: nous savons tous, au moins depuis la COP21 de Paris en décembre 2015, qu’il nous faut, de toute urgence diminuer dramatiquement l’émission de gaz à effet de serre (GES) dans les 10 à 20 prochaines années; la plupart des gouvernements se proposent, au mieux, de diminuer graduellement leurs émissions, quand ce n’est pas simplement de diminuer… l’augmentation de leurs émissions! Alors que des écologistes aussi réputés et responsables que David Suzuki, au Canada, affirme sans réserve que tout le pétrole non extrait (et à plus forte raison le pétrole non encore découvert) devrait carrément rester sous terre (ce qui serait un véritable saut qualitatif); de même, il est irresponsable d’affirmer à Paris sa volonté politique de réduire significativement ses émissions de GES et, de retour au Canada, d’autoriser la construction d’un oléoduc de plusieurs milliards de dollars pour non seulement transporter, pendant des décennies, le pétrole actuel des sables bitumineux de l’Alberta mais pour leur permettre aussi d’en augmenter la production!
  • au fond, un changement radical ou un saut qualitatif doit obliger, par son ampleur ou son ambition, les acteurs à «repenser les choses sur une autre base», à «sortir de la boîte» des traditions («to think outside the box»). Car c’est toujours «la nécessité qui est la mère des inventions»

Dieu n’invite pas à la «realpolitik»

  • quand on prend un peu de recul par rapport aux contraintes de la «realpolitik» (ce qu’il est possible ou raisonnable d’espérer) et qu’on se replonge au coeur de nos traditions religieuses ou spirituelles (je vais ici parler à partir du christianisme, qui est ma propre tradition), Dieu nous appelle à rien de moins qu’à ce changement radical ou ce saut qualitatif.
  • le cri des hommes et des femmes écrasés, opprimés, dominés, exploités partout sur la terre et de tellement de manière, monte vers le Ciel: allons-nous l’entendre et y répondre avec l’amour radical annoncé sur la montagne des Béatitudes?
  • le Royaume, auquel nous sommes invités à travailler dès ici-bas («Que ton Règne vienne») n’est pas fait de petits accommodements ou de modestes progrès face aux injustices criantes qui caractérisent notre monde actuel; le Royaume correspond, dans le langage altermondialiste, à cet «autre monde possible» qui devra être profondément et qualitativement différent du monde actuel
  • nous sommes appelés, par nos traditions religieuses et spirituelles, à «faire toutes choses nouvelles»

Dominique Boisvert
Scotstown, le 25 juillet 2016

1 réflexion sur “La pauvreté: boussole pour un «autre monde possible»?”

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