Ma vingtaine a été marquée par mon implication dans le mouvement de la simplicité volontaire (SV), ma trentaine se déroule sous le signe de la Communication non violente (CNV) et de la créativité. Quels liens y a-t-il entre ces trois approches?
La simplicité volontaire est un mouvement né de la constatation de plusieurs: le mode de vie proposé par le courant dominant, en occupant la majeure partie du temps des adultes dans des emplois au service d’une économie de marché basée sur l’exploitation des ressources naturelles et humaines, satisfait mal plusieurs besoins, y compris ceux liés aux activités de base comme se nourrir, prendre soin des enfants et de notre propre santé, de nos proches. Et même le besoin de la planète de se régénérer, il est compromis par la civilisation actuelle.
L’expression « simplicité volontaire » est apparue il y a plusieurs décennies, aux États-Unis, et a connu une vague de popularité dans les années 2000 au Québec. J’ai coordonné pendant quelques années le Réseau québécois pour la simplicité volontaire, qui diffusait des slogans comme « Travailler moins, vivre mieux » et « Riches autrement, autrement libres ». En gros la SV, invite à se questionner sur nos vrais besoins et à accepter un train de vie plus modeste afin de réduire l’empreinte écologique et d’avoir du temps pour des activités qui ont du sens, pour nos proches, nos passions, l’engagement citoyen, etc.
La Communication non violente, un modèle proposé par le psychologue américain Marshall Rosenberg (1934-2015), est bien plus qu’une approche pour mieux communiquer les uns avec les autres. Elle s’intéresse aussi aux besoins, qu’elle conçoit comme une pulsion de vie, une énergie intrinsèque qui motive tout comportement humain. La CNV distingue notamment les stratégies et les besoins, ces derniers étant indépendants des moyens qu’on prend pour y répondre. Ainsi, derrière ce qu’on nomme dans la vie courante le « besoin de travailler », on peut lire les besoins de sécurité, de contribution, d’accomplissement, et celui « de faire de l’argent », encore celui de sécurité et peut-être d’autonomie, de simplicité, de fluidité, de reconnaissance, de soutien, etc.
En prêtant une attention bienveillante aux émotions qui sont en dessous de notre discours mental, ces émotions étant simplement des signaux, on peut accéder à nos besoins. Nos besoins qui ne sont pas des abstractions mentales, mais bien une énergie vivante, une certaine saveur de l’énergie de vie: douceur, tendresse, affirmation, avoir sa place, sens de sa valeur, connexion, contribution, mouvement, célébration, deuil, etc. La CNV nous apprend à nous relier à ce courant de la vie, un « carburant » très puissant pour ensuite laisser émerger la créativité…
Oui, la créativité, car c’est aussi une saveur de la vie. La vie aime les formes multiples, les inventions, le farfelu (pensons à ces oiseaux au plumage exubérant ou aux protubérances diverses!). Alors des moyens pour répondre à nos besoins, il y en a une infinité. La CNV enseigne à goûter à l’énergie de vie dans la plénitude et à être créatif dans les formes que ça prend. De la même façon, la simplicité volontaire telle que je la conçois, c’est une vie axée sur l’essentiel, branchée au sens. Conséquemment, ça goûte l’abondance.
J’ai toujours travaillé à temps partiel, ce qui m’a permis de réaliser mes projets créatifs, notamment mon roman Cité carbone, qui illustre d’ailleurs bien la vision du monde portée à la fois par la simplicité volontaire et la Communication non violente: l’action se déroule à Montréal, un Montréal presque comme aujourd’hui, mais avec un bidonville à l’Est, sur un ancien dépotoir; et soudainement, il n’y a plus de pétrole. Certains personnages ont déjà mis en place des stratégies indépendantes du pétrole pour répondre à leurs besoins (jardins sur les toits, vélos, etc.) – ils seront très utiles aux autres, qui basculent complètement au moment de cette crise.
Le contexte de Cité carbone est difficile, et en même temps, les lecteurs ont dit que c’était une lecture lumineuse, pleine de tendresse. Parce que la vie continue. La quête de sens, les amours, les amitiés. La suite du monde sera possiblement moins confortable qu’aujourd’hui, mais notre force de vie, elle reste.
Je disais donc que j’ai toujours travaillé à temps partiel, même si ce n’est pas le modèle dominant. Donc, ça se peut. Et ça s’invente, et ça se demande. Les journées de travail des ouvriers étaient de dix heures, il y a cent ans. On fumait dans les restaurants, il n’y a pas quinze ans, et ça nous paraît aujourd’hui invraisemblable. Les formes sont transformables! Et ce choix de la simplicité volontaire libère du temps pour suivre nos aspirations profondes. C’est donc un moyen pour tout artiste de se donner l’espace de créer. La simplicité volontaire nous invite à être responsables de notre vie (autrement, c’est facile d’accuser notre travail ou le système de ne pas nous laisser le temps de le faire).
La CNV aussi est fondée sur la reprise de notre pouvoir. Et oui, c’est un outil pour communiquer. Elle nous apprend à assumer la responsabilité de nos besoins en faisant des invitations, des propositions alléchantes pour cocréer, avec les autres, en mode ouvert, négociable, des formes qui vont dans le sens de la vie. La vie veut répondre à nos besoins, car nos besoins, c’est la vie en nous! Ça prend un certain temps pour l’intégrer, cette belle CNV, parce qu’il s’agit de procéder à un déconditionnement de nos réflexes, d’apprendre la non-dualité, petit à petit de comprendre avec nos tripes cette interdépendance qui est le principe de base de l’écologie.
L’inspiration que les pratiques de créativité nous apprennent à cultiver, je la relie à l’intuition, qui est une intelligence au-delà de nos capacités individuelles. Et une ressource essentielle au fonctionnement du monde, comme le courant de la force de vie qui nous traverse, au-delà de nos apparentes limites individuelles.
SV, CNV et créativité — aucune de ces approches ne nie la difficulté et les obstacles à avancer vers l’intégrité et la responsabilité. Elles nous invitent toutefois à cultiver l’audace et le courage de le faire, à reconnaître le besoin de soutien pour y arriver, petit à petit. Alors moi, malgré l’état du monde, je suis optimiste. Parce que la force de vie, elle est là, et bien là. C’est elle qui crie derrière tous les conflits, expressions tragiques de besoins en manque. Je suis optimiste, car nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux à apprendre à traduire les discours chargés de souffrance en mots de besoins qui ouvrent des fenêtres et créent des ponts.
Pour en savoir plus:
Mongeau, Serge. La simplicité volontaire, plus que jamais. Éditions Écosociété.
Rosenberg, Marshall. Les mots sont des fenêtres (ou ce sont des murs). Éditions Jouvence.
Ça mérite un TED talk.
Merci! Ce serait un bon moyen pour diffuser l’idée qu’on a du pouvoir pour créer le monde qu’on veut.
Merci Jacinthe. Je trouve ce texte très inspirant et plein de sagesse.
Merci beaucoup! 🙂
Excellent article, Merci 😉
Merci! Contente de contribuer!