La fête des Mères

Je me souviens de ce dimanche-là, celui de la fête des Mères, une célébration qu’exécrait maman, qui en interdisait fermement toute manifestation sous prétexte que c’était du « pur mercantilisme et que ça vaut pas la peine de m’amener au restaurant rien qu’une fois par année, si c’est pour me forcer à laver votre linge sale tout le reste du temps, bande d’hypocrites ». Ma mère charriait un peu, et nous, ses enfants, passions outre, trouvant moyen de la fêter en surmontant sans trop de mal ses réticences.

De beaux souvenirs, certes, mais dans l’immédiat la matinée tirait à sa fin et maman ne manquerait pas de s’apercevoir de ma rentrée tardive! Un peu penaud, je me dis que, pour une fois, j’aurais pu lui offrir un bouquet. Idée vite formulée, puis vite oubliée.

Car mon esprit préférait replonger dans une sorte de stupeur bienheureuse et disqualifiait tout ce qui pouvait atténuer sa joie. Comme j’étais loin des contingences de ce bas monde, assis dans l’autobus qui me ramenait à la maison familiale! Pas rasé, les vêtements froissés, mais le cœur en délire, et le regard aveugle au périple routinier de la 191 qui, partant de Saint-Henri, traversait laborieusement les quartiers industriels séparant la grande ville de la banlieue où, me semblait-il ce matin-là, nous vivions une vie modeste et sans intérêt.

Je revivais cette nuit dorée passée dans les bras de ma belle, balbutiant des mots d’amour, explorant les moindres recoins de son corps voluptueux, n’en croyant pas mes sens. Comme c’était bon! Et je repassais sans me lasser chaque minute de notre épuisante et mystérieuse danse d’amour. Émerveillé de cette révélation, consterné qu’on m’ait dissimulé à ce point ce grand bonheur, et fier d’être devenu un homme.

Mais le monde tangible reprenant ses droits, me voilà débarqué soudain à quelques pas de la maison, tout rêve évaporé. Ma sœur est installée au bas de l’escalier dans ses habits du dimanche. Ah oui, il y a la messe que j’ai ratée. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter à maman?

–          Te voilà Robert, où te cachais-tu donc ce matin? Donne-moi un bisou.

Sœurette a l’air un peu chiffonné, comme si elle avait pleuré. En cet instant, je me sens capable de tout réparer, même le cœur brisé d’une petite fille.

–          Ma petite Michelle, quelque chose qui ne va pas?

J’avais oublié de vous dire que Michelle est pas mal futée.

–          Maudine d’affaire! Je l’sais maintenant pourquoi maman est malcommode à matin! C’est ta faute, t’a découché, espèce de gars! Ben occupe-toi-s’en astheure. Parce que moi, j’en peux pus.

Maman apparaît justement sur le seuil, l’œil inquiet. Elle me semble bien petite. Son beau visage me fait reproche.

–          Robert, veux-tu ben m’dire…

Normalement, elle est coriace maman, beaucoup plus forte que moi au jeu des explications laborieuses. Mais aujourd’hui je suis invincible n’est-ce pas? L’esprit retors, conscient d’avoir déçu ma maman pour de vrai mais ne pouvant contenir l’amour grandiose qui me fait vibrer, je monte les marches en courant. Et c’est un autre Robert que moi, plus chaleureux, radieux, qui l’embrasse avec exubérance.

–          Bonne fête des Mères maman!

Flottement. Je crois que ce matin-là elle a hésité entre mélodrame et soulagement, entre la colère et l’indulgence, et puis autre chose encore, la surprise peut-être. C’était mon jour de chance. Maman a-t-elle su que je l’aimerais toujours, malgré le temps qui déboule et qui nous transforme? Elle sourit tristement, puis me fit entrer dans la maison. Je ne me suis pas retourné vers Michelle, petite sœur futée, qui est restée au bas de l’escalier…

Ce fut MA plus belle fête des Mères…

Si vous manquez d’idées pour fêter une maman de votre entourage en toute simplicité, rendez-vous à la page qu’Équiterre consacre à la fête des Mères.

Nous considérerons le Carnet comme un lieu d’interaction multiple qui devrait, avec le temps, prendre des formes diverses (textes de réflexions sur la SV certes, comme jusqu’à présent, vidéos reliés à la SV, mais aussi chroniques humoristiques, poèmes, recettes de cuisine, échanges de trucs, lettres des lecteurs sur des sujets d’actualité commentés du point de vue de la SV, possiblement interventions polémiques, etc.).

À l’occasion de la fête des Mères, où les enfants pétris d’un amour réel pour leur mère se livrent parfois à un rituel quelque peu bâclé ou commercial, nous avons cru bon d’inaugurer nos Chroniques désopilantes en vous présentant le texte ci-dessus. Nous continuerons, avec votre participation, à développer le Carnet en expérimentant par essais et erreurs.

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