La Journée sans maquillage

    Jamais je n’aurais cru écrire sur le… maquillage ! Surtout que j’avais déjà en tête des sujets plus importants (!) comme l’argent ou le système financier. Et pourtant, quand mardi dernier, le 11 mai, j’ai entendu parler de cette première « journée sans maquillage », j’ai tout de suite compris qu’il y avait là beaucoup plus que les simples apparences.

    Beau défi que de dire l’essentiel en peu de mots sans être mal compris. Mais essayons quand même. En commençant par les faits : Brigitte Germain, une productrice, veut savoir ce qui ce cache derrière le rapport des femmes au maquillage ; elle produit un documentaire (Elle est belle au naturel) diffusé au Canal Vie le 11 mai et en rediffusion le dimanche 16 mai à 19h et le lundi 17 mai à 5h ; et elle approche la revue féminine Elle Québec qui y consacre sa couverture et son dossier du numéro de juin 2010.

    Pourquoi en parler ici ? Parce que le maquillage peut être autant un esclavage qu’un outil au service de la beauté; parce qu’il est aussi une industrie qui contribue à définir les normes féminines; parce que l’enjeu de fond est la personne humaine au-delà de son image. Et que la simplicité volontaire, partout et toujours, cherche à privilégier l’essentiel qui est à la source du bonheur.

    Les femmes (pourquoi pas les hommes ?) se maquillent pour être belles. Rien à redire contre la beauté : c’est un des charmes de la vie. Mais plusieurs se maquillent pour masquer ou corriger des «  défauts » (ou ce qu’elles perçoivent comme tel) : déjà, on peut questionner cette notion de «  défauts » ou d’imperfection. Et surtout, plusieurs ne peuvent pas s’imaginer sortir de chez elles sans se maquiller : alors, ce n’est plus un atout mais une condition d’existence.

    Soyons clair. Je ne dirai jamais rien contre les femmes qui se maquillent (même sous la pression de l’esclavage). Mais je questionne tout esclavage, quelles qu’en soient les raisons et les victimes. Et cela fut pour moi une découverte que d’entendre toutes ces femmes réfléchir sur leur rapport (fort différent de l’une à l’autre) au maquillage, à la beauté, à leur image et à leur confiance en soi.

    Et ne fût-ce que pour cela, la journée sans maquillage est une initiative inestimable : l’occasion offerte à chacune de prendre ce « pas de recul » qui permet de sortir des automatismes de l’habitude ou du quotidien pour réfléchir et pouvoir ainsi choisir à nouveau. Comme il nous faudrait, pour la même raison, davantage de journées sans voiture, sans télévision, sans achat, sans viande, sans eau embouteillée, sans cellulaire et autres gadgets informatiques, etc.

    Derrière ce sentiment de confiance, voire d’identité, que plusieurs femmes disent éprouver grâce à leur maquillage, se cache la difficulté que nous avons à vivre « au naturel », à accepter notre condition humaine (avec ses limites et ses imperfections), à regarder la vie en face (voir le superbe texte de Josée Blanchette, « Cette amie qui nous veut du bien » dans Le Devoir d’aujourd’hui).

    Et c’est là que nous rejoignons plusieurs valeurs capitales de la simplicité volontaire. Celle-ci plaide en effet pour la priorité aux personnes, à toutes les personnes, plutôt qu’à leur image ou à leur performance : une personne au visage ou au corps ingrat, ou avec un handicap, ou qui ne correspond pas aux «  normes » (d’ailleurs changeantes) de la mode en vigueur a-t-elle moins le droit d’exister ? a-t-elle moins de beauté ou de qualité intérieures ? mérite-t-elle moins d’accueil ou d’attention ?

    Autre valeur de la simplicité volontaire : que chacunE puisse choisir ses priorités au lieu de se les voir imposer (souvent inconsciemment) par les normes sociales et plus encore par les pressions économiques. À cet égard, ce n’est plus le maquillage qui est en cause mais le poids qu’il fait peser sur les femmes, y compris sur le plan économique (le coût des vêtements ou de la coiffure, pour des biens et services comparables, est beaucoup plus élevé pour les femmes que pour les hommes, le « marché » ayant compris que les femmes sont une clientèle beaucoup plus captive et vulnérable).

    Finalement, la simplicité volontaire plaide aussi en faveur de la durabilité, de l’utilisation raisonnable des ressources de la planète. Et à cet égard, si la simplicité volontaire encourage la beauté et la créativité dans tous les domaines (couture, design, etc.), elle ne peut que combattre le principe même de la mode et toute l’industrie marchande qui l’alimente. Car par définition, la mode est la forme la plus reconnue d’obsolescence planifiée, et donc d’encouragement au gaspillage : pour que la mode existe, il faut par essence qu’elle soit éphémère, de manière à pouvoir être remplacée par une autre, renouvelée sans cesse. Et l’industrie qui en vit doit, pour exister, arriver à imposer socialement ce renouvellement permanent des « goûts » qui sont, malgré les apparences, beaucoup plus fabriqués que personnels.

    Le maquillage comme instrument de création et de beauté, au même titre que les couleurs du peintre ou l’éclairage d’un spectacle, oui. Le maquillage comme écran ou médiation nécessaire pour la rencontre des autres, le moins possible. Car c’est alors au fond un maquillage de la vérité des êtres, et un bien mauvaise façon de construire la nécessaire communauté.

5 réflexions sur “La Journée sans maquillage”

  1. Le maquillage, comme son nom l’indique sert bien à maquiller les défauts, les imperfections, les disgraciosités..mais il sert surtout à cacher le visage, le naturel et donc l’expression de soi..Je suis moi mais je suis Moi différente présentée au autres. Puisque je plais aux autres tel quel, pourquoi devrais je leur montrer un visage que je refuse car il n’est pas le reflet de mes attentes?? La dificulté est de s”assumer autrement..Je suis moi même confrontée au problème puisque je me maquille beaucoup..;et j’avouerais même que je ne conceois pas sortir sans maquillage. Je me retouve ainsi prisonière de ma propre apparence, mais paradoxalement, j’ai l’impression de me protéger face au monde extérieur..et de ne pas devoir assumer les éventuelles irrégularités de mon esthetique…et surtout de pas être en conflit avec quiconque..j’essaie avec le temps, de me détacher de tout cet artifice …mais il est vrai que l’on est tous esclave, à notre manière, de notre société qui n’est qu’axée que sur le physique et l’apparence…!!!!!!!!!!!

  2. Le maquillage est plus efficace lorsque l’on convoîte un travail, un homme, une promotion, une faveur, une réussite, que 100 mots intellectuels. Dans une entrevue, 80% est basé sur le contenant et 20% sur le contenu. En 2010, soigner son apparence nous donne des munitions pour obtenir ce que l’on veut. Cela nous économise, temps, efforts et énergie. Moi, ma simplicité volontaire, c’est de demander une augmentation à mon patron avec le sourire au lieu de me démener comme le diable dans l’eau bénite. Tant mieux si les minis-jupes, les talons hauts, le maquillage, les bijoux et la belle coiffure me donne du charme. J’utilise toutes ces armes avec intelligence parce que ça m’aide à gagner dans la vie. Je ne vois pas en quoi être moche m’aiderait dans ma carrière et dans ma vie amoureuse.

    Parole d’une femme qui baise avec un homme qu’elle aime et qui gagne bien sa vie en partie grâce au maquillage et à son intelligence. : )

  3. La dernière fois que j’ai porté du maquillage, c’était je crois pour un mariage ou une occasion du genre il y a plus de 20 ans! De la même façon, je n’ai jamais vraiment apprécié l’esclavage des vêtements dits “professionnels” qu’il faut porter dans certains milieux de travail, dont les bureaux d’avocats et de comptables, même lorsqu’on simple secretaire ou commis. Mais maintenant, en travaillant surtout de chez moi, je n’ai plus à me préoccuper ni de maquillage ni de vêtements!

    En passant, oui, les hommes sont de plus en plus esclaves des produits cosmétiques. On les appelle les métrosexuels.

  4. François Pelletier

    Il est toujours raffraîchissant de lire un texte, comme celui que tu viens de partager avec nous, qui questionne une convention établie solidement dans notre quotidien.

    Tout comme la mode et le maquillage, la notion d'”uniforme” est également intéressante à questionner. Pourquoi serions-nous plus crédible au bureau avec une cravate et un veston, qu’avec une chemise sport? Est-ce que la crédibilité n’est pas beaucoup plus que de beaux habits et de belles paroles? Les événements politiques des dernières semaines ne sont pas de beaux exemples du contraire?

    On nous a vendu (oui, oui – vendu!) l’idée que des notions telles que la beauté, la crédibilité, la compétence et bien d’autres sont liées à des artifices extérieurs que nous pouvons (devons?) acheter. Le maquillage, la mode, les uniformes, la voiture de prestige, etc.. sont autant de symboles qui nous sont proposés.

    J’adore ta dernière phrase, qui exprime magnifiquement bien ce que tout ça peut constituer si nous ne sommes pas vigilants: “[..,] un maquillage de la vérité des êtres[…]”.

    Merci Dominique pour cette réflexion.

  5. Ce texte résonne en moi parce que je suis passée (à la fin de l’adolescence et jusqu’à 25 ans environ) par une phase où je ne pouvais pas imaginer sortir de chez moi (= me présenter au regard des autres) sans maquillage. Je ressentais de manière très vive que j’étais imparfaite et le fait de le montrer aux autres était une grosse source d’angoisse.

    Après un séjour au Bénin (où la chaleur et l’humidité ont eu la peau de mon maquillage dégoulinant) et une psychothérapie, j’ai décidé d’arrêter de me maquiller. Cette phase de rejet total a été nécessaire pour moi.

    Aujourd’hui, je ne sais pas si c’est une question de maturité ou plutôt d’affirmation de soi, je ressens toujours ma grande imperfection (passé 30 ans, on a des jours avec et des jours sans, comme on dit). Ce qui change c’est que je ne ressens plus d’angoisse face aux autres : je suis faite ainsi et puis c’est tout !

    Comme tu le dis, l’important pour moi c’est d’avoir le choix. Il m’arrive de me maquiller pour une soirée et parfois certains matins (très peu souvent) mais ce n’est plus pour me cacher.

    Je plains beaucoup les personnes qui -lorsque le maquillage ne leur semble plus remplir son office – se dirigent alors vers la chirurgie esthétique. C’est de plus en plus fréquent (et même parfois très jeune pour combler des rides imaginaires). Sommes-nous en train de construire une société de l’instant, du présent, de la jeunesse éternelle ?

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