« Je refuse de me faire appeler consommateur et revendique mon statut d’être humain, en quête de son propre accomplissement ». C’est en ces termes que s’est exprimé Pierre Rabhi lors d’une conférence qu’il a donnée à l’auditorium du Jardin botanique le 28 avril dernier.
Né dans une oasis du sud de l’Algérie, mais confié à cinq ans, à la mort de sa mère, à un couple d’instituteurs français pour qu’il puisse être scolarisé, Pierre Rabhi émigre en France à la fin des années 50 où il se fait d’abord ouvrier spécialisé, condition qu’il cherche à fuir en s’installant en Ardèche. Il y suit une formation en agriculture et commence, malgré de maigres moyens, à se livrer à l’agriculture biodynamique avec sa compagne. Il est aujourd’hui reconnu comme expert international pour la sécurité alimentaire et a participé à l’élaboration de la Convention des Nations Unies pour la lutte contre la désertification. À 72 ans, il vient de publier Vers la Sobriété Heureuse et continue d’ensemencer les consciences, fidèle à lui-même et à son engagement de toute une vie.
Au sujet de la consommation, Pierre Rabhi dira qu’elle fait de nous d’éternels insatisfaits, des pilleurs d’avenir, car « ce qui détruit la planète, ce n’est pas l’indispensable, mais le superflu! » Et l’ivresse de la consommation a pour corollaire l’exaltation de la productivité – ce qui le révolte – tout comme le fait que la finance a prépondérance absolue sur la vie.
Si Pierre Rabhi décrit notre monde comme étant plein de tristesse et de souffrance, il appelle du même souffle à l’insurrection des consciences, et nous invite à nous demander comment incarner le changement que nous voulons, en évitant surtout de sombrer dans l’intolérance, dans l’enfer écologique. Pour lui, il nous faut privilégier la décroissance programmée et ordonnée et non pas la violence.
La fin du pétrole annonce la fin prochaine de l’agriculture industrielle. Comment survivrons-nous? Constatons d’abord que les villes ne participent pas à la production de nourriture. Elles drainent sans produire. Par ailleurs, l’agriculture moderne est dispendieuse. Elle pollue l’eau, appauvrit les sols. Il faut deux ou trois tonnes de pétrole pour produire une tonne d’engrais, 10 kilos de céréales pour produire un kilo de viande. En revanche l’agriculture bio est fondée sur la science. Très performante en zone aride, elle épargne le patrimoine et a des effets positifs sur la santé. Pierre Rabhi peut en témoigner, lui qui a rendu à la vie la terre pauvre dont il s’était porté acquéreur.
Ce qui l’amène tout d’abord à favoriser la reconquête d’une agriculture autonome, principe fondateur de « notre révolution ». En quelque sorte, faire son jardin, se nourrir soi-même, constitue un acte de résistance. De plus, comme la terre fertile, c’est 25 cm de sol sur 10 % des terres immergées, il faut la soustraire à la spéculation (tout comme l’eau) et en constituer légalement un bien inaliénable. Enfin, il faut jeter des passerelles entre producteurs et urbains.
Pierre Rabhi est porteur d’espoir. Selon lui, déjà nous avons entamé la transition vers cette nouvelle société que nous sommes appelés à définir. Il suffit pour cela de constater l’effervescence actuelle, alimentée d’utopies. D’ailleurs, il définit l’utopie comme une « transgression qui nous permet de nous projeter dans une intuition ».
Pierre Rabhi fut le premier invité des Muséums nature de Montréal, qui organisent une série de grandes rencontres avec des personnalités dont le regard particulier contribue à faire évoluer notre relation à la nature et à autrui.