Assez pauvres pour financer ce qui nous tient à coeur?

les_riches_ces_pauvres_belgesBien des personnes et des situations ont des besoins plus essentiels et pressants que les nôtres. Et cette constatation est valable même pour les plus pauvres d’entre nous! Il suffit de penser, ces jours-ci, aux victimes du typhon Haiyan aux Philippines.

Quand vient le temps d’aider financièrement, on pense spontanément qu’il faut être assez riche pour pouvoir le faire. J’aimerais soumettre à votre réflexion qu’il faut plutôt être assez pauvre pour vouloir le faire.

Le paradoxe est ici plus apparent que réel: la richesse, comme la pauvreté, sont essentiellement des réalités relatives. On est toujours à la fois le riche de quelqu’un et le pauvre de quelqu’un d’autre: tout dépend de quel côté on choisit de regarder et à qui on se compare. Je connais bien peu de gens, même les plus fortunés, qui s’avouent « riches », se comparant spontanément à bien plus riches qu’eux. Et tous ceux qui ont ramassé des fonds pour quelque cause que ce soit vous diront que les plus généreux donateurs se recrutent bien plus souvent chez les gens modestes que chez ceux dont on aurait pensé récolter beaucoup.

Ce paradoxe de la richesse et de la pauvreté se vérifie un peu partout. Un ami m’expliquait, il y a 40 ans, qu’il était « trop pauvre pour être locataire » et payer ainsi toute sa vie pour la propriété de quelqu’un d’autre (souvent bien plus riche que lui). J’ai retenu la leçon. Je me suis arrangé pour qu’il y ait toujours de l’argent disponible pour assurer la liberté de mes choix. Au lieu de m’endetter, malgré tous les incitatifs qui nous y poussent comme la multiplication des cartes de crédit et la facilité avec lesquelles on nous l’accorde, j’ai choisi de toujours dépenser un peu moins que ce que je gagnais, peu importe le montant de ces gains. Comme je l’ai appris à mes enfants, « quand tu as une cenne devant toi, c’est elle qui travaille pour toi[1]; tandis que quand tu as une cenne derrière toi, c’est toi qui travaille pour elle! »

Financer ce qui nous tient à coeur

Tout cela pour aborder la question du financement de ce qui nous tient à cœur. Ce peut être un orphelinat en Bolivie, comme celui où ma compagne a travaillé bénévolement l’équivalent de plus de deux années réparties en six séjours depuis 1999. Ce peut être le projet de développement d’un instrument de musique électroacoustique novateur, le « Musicolateur », qui permet d’initier les enfants à l’écoute musicale et à la composition dès les années du primaire, comme le fait mon fils Félix depuis presque dix ans. Ce peut être l’appui financier à une fonctionnaire comme Sylvie Therrien qui a eu le courage de dénoncer les coupures secrètes que le gouvernement fédéral veut imposer aux chômeurs et chômeuses canadiens, comme nous y invite le Conseil national des chômeurs. Et cela peut bien sûr aussi être un don pour des causes plus « populaires » ou « vendeuses » comme l’aide d’urgence aux victimes d’une catastrophe naturelle, un téléthon pour lutter contre une maladie ou la « guignolée » contre la pauvreté… à Noël.

Peu importe la cause, la question qui nous est posée est la même : ai-je fait les choix qui me permettent d’apporter, autant que je le veux, ma contribution à telle ou telle cause qui me tient à cœur?

Pour être actuellement impliqué dans deux projets distincts de levée de fonds sous forme de « prêts sans intérêt pour trois ans », je constate que la réponse des gens que je sollicite a généralement bien peu à voir avec les revenus objectifs des personnes ou familles concernées. Des personnes à hauts revenus se disent dans l’impossibilité de venir en aide (et je ne porte bien sûr ici aucun jugement sur les personnes ou les situations particulières) alors que d’autres, qui disposent de revenus bien plus modestes, ont presque toujours des fonds disponibles pour contribuer à des projets jugés importants. La nature de la réponse ne dépend pas d’abord du « compte en banque » mais bien plutôt de l’attitude des personnes face à l’argent, avec les priorités et les choix qui en découlent.

J’en reviens à la question de mon titre : « sommes-nous assez pauvres pour financer ce qui nous tient à cœur? » La pauvreté dont il est ici question est d’abord et avant tout une pauvreté d’attitude ou de cœur : reconnaître que l’argent dont nous disposons (qu’on en ait beaucoup ou beaucoup… moins!) n’est pas la source principale de notre bonheur, qu’il est et doit demeurer un outil plutôt qu’un objectif, qu’il est terriblement inégalement (pour ne pas dire injustement) réparti entre les individus et les peuples du monde, qu’il n’est pas d’abord un « dû » ou une « propriété privée » mais plutôt l’un des moyens de notre contribution à un meilleur « vivre ensemble », etc. Bref, pas mal le contraire des valeurs que nous propose la société capitaliste et individualiste dans laquelle nous vivons.

Il y a assez d’argent et de richesses (qui sont tellement plus que l’argent) disponibles parmi nous pour financer TOUS les projets qui nous tiennent à cœur. J’écris volontairement « parmi nous », pour éviter que nous reportions la question et le blâme sur les autres : les « riches », les compagnies, les gouvernements, etc. Et j’écris tout aussi volontairement « TOUS les projets », aussi bien au niveau mondial qu’au niveau local ou plus individuel.

La démonstration a été faite depuis des décennies qu’une simple fraction des dépenses militaires annuelles suffiraient pour fournir nourriture et eau potable à tous les humains, pour mettre fin aux maladies endémiques, pour fournir les soins de santé et d’éducation de base partout où ils font défaut, etc. L’ancien vice-président senior de la Banque Mondiale, l’économiste britannique Sir Nicholas Stern, a démontré dès 2006 qu’il serait beaucoup moins coûteux d’investir pour limiter les changements climatiques que de faire face aux conséquences catastrophiques qui découleront inévitablement de notre inaction. Dans tous les cas, ce n’est pas l’argent qui manque mais bien la clairvoyance et la vision au-delà de nos intérêts à court terme, et le courage politique pour agir.

La même constatation peut être faite au niveau plus local ou individuel. Dans la plupart des cas, surtout dans nos pays riches, nous disposons individuellement et collectivement de toutes les « richesses » nécessaires pour réaliser les projets prioritaires, essentiels ou même importants, ceux qui devraient d’abord nous tenir à cœur. Il suffit de le vouloir vraiment, de nous mettre ensemble, de retrousser nos manches (c’était la force tranquille des « corvées » traditionnelles de nos villages au Québec) et d’agir.

C’est vrai pour bâtir l’école que nous voulons, la ville dont nous rêvons ou le pays dont nous avons besoin.

 



[1] La notion d’intérêt est fondamentale dans le capitalisme, aussi bien quand on « prête » ou « place » que quand on « emprunte ». Mais bien évidemment, l’argent ne pousse jamais dans les arbres. Et quand « notre argent profite », quand on peut « s’enrichir en dormant » selon le beau titre du livre de Bernard Barthet, c’est forcément parce que des humains, quelque part, travaillent à la sueur de leur front pour générer une « plus value » qui nous est ensuite versée sans effort de notre part.

2 réflexions sur “Assez pauvres pour financer ce qui nous tient à coeur?”

  1. Tout à fait juste M.Boisvert.Pour quelqu’un qui a la chance d’avoir un bon emploi et nous sommes nombreux dans ce cas au Québec, nous pouvons donner et de l’argent et du temps pour les causes qui nous tiennent à coeur.En plus comme chacun est différent, les causes sont variées et nombreuses.Avec les Accorderies au Québec nous découvrons aussi une économie basée sur le temps et non sur l’argent.Alors chacun peut être généreux quelque soit son avoir.
    Comme le disait Fred Pélerin l’an dernier dans la campagne de Centraide, plus on muscle le coeur plus on devient fort en générosité.

  2. Micheline Claing

    Bonjour Dominique,

    En lisant ce beau texte, la réflexion qui m’est venue est qu’il faut souvent avoir été pauvre soi-même pour comprendre l’ampleur des besoins de ceux qui le sont ou qui ont besoin d’aide suite à un désastre. C’est peut-être une des raisons qui nous poussent à les aider!

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