Le leadership, dans tous les domaines, se mesure très souvent à la vision et au courage : la capacité d’entrevoir dès maintenant, à travers le fouillis ou le brouillard du présent, les possibles ou les souhaitables de l’à-venir; et l’audace de mobiliser les personnes et les ressources nécessaires pour faire advenir ces possibles ou, mieux encore, ces souhaitables.
C’est vrai dans le sport : identifier et développer les capacités encore insoupçonnées d’un jeune ou voir le potentiel d’un groupe jusqu’ici peu performant et savoir tirer le meilleur parti de chaque membre de celui-ci.
C’est vrai dans la recherche scientifique : intuitionner une hypothèse non encore vérifiée, entrevoir un résultat possible et y consacrer les énergies permettant de valider ou d’infirmer clairement l’hypothèse, ou de réaliser l’objectif qui paraissait d’abord lointain ou inaccessible. L’un des exemples les plus éloquents en étant la « découverte » de la bombe atomique à laquelle les Américains ont choisi de donner une priorité absolue durant la Deuxième guerre mondiale.
C’est vrai au niveau économique et politique : oser penser différemment (« en dehors de la boîte » comme disent les Anglais) pour résoudre des problèmes jusqu’ici inédits. Comme les économistes entourant le président Franklin D. Roosevelt développant le New Deal pour répondre à la grande Crise de 1929. Ou Tommy C. Douglas, le fondateur du Nouveau Parti Démocratique en Saskatchewan puis au Canada, qui développa les principaux programmes sociaux qui ont fait jusqu’à récemment la fierté du pays et son originalité face au grand voisin américain.
C’est vrai au niveau de la gestion publique : savoir dépasser la vision à court terme (généralement en fonction de la prochaine élection ou de la prochaine assemblée annuelle des actionnaires) pour mettre en place les décisions et les stratégies qui se révèleront « payantes » à moyen et à plus long terme.
Un exemple récent de cela est la gestion municipale de l’équipe de Projet Montréal dans l’arrondissement du Plateau Mont-Royal entre 2009 et 2013 : l’équipe du maire Luc Ferrandez a choisi de mettre ses promesses électorales à exécution (une rareté en politique, tous paliers de gouvernement confondus!), même si cela dérangeait bien des habitudes, des intérêts établis et parfois les simples citoyens. Quand on lui demandait s’il ne craignait pas de nuire ainsi à ses chances de réélection, il répondait immanquablement qu’il avait été élu pour réaliser un programme clairement proposé et qu’il laisserait les électeurs décider du résultat. Avec le résultat que toute son équipe fut réélue haut la main, malgré l’audace, la vision et… les dérangements/désagréments qui, en cours de mandat, faisaient craindre le pire!
Un autre exemple aussi probant milite en faveur de ce leadership fait de vision et de courage : celui de la direction de l’Université de Sherbrooke (dont le recteur était à l’époque le dynamique Bruno-Marie Béchard) qui, depuis l’automne 2004, a choisi d’offrir à tous ses étudiants et son personnel la gratuité du transport en commun grâce à une entente avec la Société de transport de Sherbrooke qui coûtait annuellement à l’Université près d’un million de dollars. Pourquoi diable une université décidait-elle de consacrer ainsi un million de fonds publics pour offrir un service dont elle n’était aucunement responsable? Folie ou vision? Incompétence ou courage?
Cette décision visionnaire s’est rapidement révélée encore plus « payante » qu’entrevu. Non seulement elle s’est révélée rentable financièrement pour l’Université qui épargna ainsi la construction (et l’entretien, et la gestion) de nouveaux stationnements rendus nécessaires par l’augmentation de sa clientèle, avec tous les bénéfices marginaux qui en découlent (qualité de l’environnement et de l’air, verdure autour de l’Université, etc.), mais elle s’est aussi révélée structurante pour la revitalisation du centre-ville de Sherbrooke! Grâce à la gratuité du transport, de nombreux étudiants et membres du personnel ont choisi de s’éloigner de l’Université (où les logements étaient devenus très chers) pour se rapprocher du centre-ville délaissé (où les logements étaient nettement plus abordables) et contribuer ainsi à la renaissance de celui-ci (nouveaux commerces et services pour répondre à cette nouvelle clientèle).
Leadership et pétrole
Tous ces exemples pour en arriver à un choix concret que le Québec devra bientôt faire : faut-il, ou non, explorer et exploiter les potentialités pétrolifères de notre territoire (sur Anticosti, dans le golfe du Saint-Laurent ou ailleurs)?
S’il faut en croire les auteurs du Manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrolepublié hier, la réponse est évidemment positive. Mais s’il faut en croire le grand scientifique et écologiste canadien David Suzuki, la réponse est évidemment négative. En fonction de quel(s) critère(s) devrait-on choisir entre ces deux positions diamétralement opposées?
Précisément en fonction de ce leadership qui a le courage de sa vision de l’à-venir. Non pas d’un avenir inévitable et déjà tracé à l’avance, celui du Manifeste qui constate qu’il « ne [faut] pas rêver en couleurs : nous consommerons du pétrole pour encore longtemps! ». Mais en fonction d’un à-venir à choisir, à faire nous-mêmes, à bâtir en dehors des diktats de la finance internationale et des intérêts économiques dominants.
Bien sûr que le pétrole ne disparaîtra pas de nos vies demain matin! Mais si nous voulons qu’un jour il disparaisse (ce que nos gouvernements commencent à présenter, encore timidement, comme souhaitable, ne fût-ce qu’en raison des problèmes de plus en plus sérieux et coûteux entraînés par les changements climatiques), il faut bien commencer quelque part. Et si, comme nous sommes de plus en plus nombreux à le croire, le problème est URGENT, il ne serait sans doute pas inutile de commencer MAINTENANT!
Et c’est là que la vision et le courage interviennent. Car il faut savoir devancer l’opinion courante, les idées dominantes, les médias et les sondages. Il faut voir demain dès aujourd’hui. Il faut initier les changements qui seront forcément d’abord impopulaires. Il faut « amorcer la pompe » des transformations nécessaires : investir avec audace et détermination dans les solutions du futur, les énergies nouvelles et moins polluantes, les mesures de conservation ambitieuses, les programmes d’éducation et de sensibilisation innovateurs et systématiques. Le changement social fonctionne, lui aussi, selon le principe des saucisses fraîches : « Plus de gens en mangent parce qu’elles sont plus fraîches. Et elles sont plus fraîches parce que plus de gens en mangent! »
Les cercles vertueux fonctionnent comme les cercles vicieux : mais c’est la responsabilité du leadership (celui de nos dirigeants comme celui que chacun et chacune de nous peut exercer dans sa propre vie, sa famille, son entourage, son milieu de travail, etc.) de mettre la roue en marche dans un sens plutôt que dans l’autre.
Dison NON à l’exploitation du pétrole (et autres énergies fossiles) au Québec, même s’il y a là « de l’argent à faire ». Et même si cet « argent », on veut en faire profiter la collectivité, comme le proposent les auteurs du Manifeste d’hier.
Mais disons surtout, et d’abord, OUI au choix collectif et à la mise en marche, dès aujourd’hui, de ce projet de société post-pétrole qui est rendu chaque jour plus nécessaire et plus urgent.
Bien sûr ..et on est de plus en plus nombreux ! Merci.