La surconsommation met en danger la survie de la planète. Cette question est maintenant bien documentée au plan scientifique. Même au plan philosophique (les stoïciens, Épicure, Bergson…), la surconsommation ne trouve pas d’assise éthique.
La sur-gestion, l’excès de gestion, m’apparait devoir être dénoncée avec la même vigueur. Soi-disant à cause de la compétition, de nombreux gestionnaires s’acharnent aujourd’hui à la recherche de la moindre économie, souvent au détriment de la qualité de vie et de la santé du personnel. Dans le secteur public, ce sujet a fait l’objet d’analyses, comme celle de la Coalition solidarité santé, qui dénonce avec raison la méthode Toyota. Ce n’est pas vrai que, dans les services à la personne, on peut tout minuter et ne pas laisser de place à l’imprévu et à la nature humaine. Dans le secteur privé, le même mal sévit.
On dirait que certains gestionnaires « jouent à l’épicier » ; il ya quelques années, je jouais aux échecs avec un jeune Français qui disait : il ne faut pas « jouer à l’épicier », c’est-à-dire échanger une tour pour une tour, un fou pour un fou, etc. sans créativité. Il semble que certains gestionnaires seraient prêts à vendre leur mère pour un quart de cenne de rendement. Bien sûr, on doit gérer les choses correctement et chaque personne a normalement une bonne capacité à s’autogérer quand elle est dans un contexte adéquat et respectueux, favorisant l’autonomie et la responsabilité. Mais nous n’en sommes plus du tout là. Faut-il vraiment encore démontrer que nous évoluons dans un monde absurde, qui pourrait ne pas l’être autant ? Les HEC et l’ENAP forment trop de comptables et de gestionnaires. Souvent avides de pouvoir, goinfres et accapareurs (pas tous, évidemment). Nous manquons de philosophes et de sociologues. Et d’infirmières. Et de travailleuses sociales. Et d’enseignantes. Et d’artistes. Nous sommes sur-gérés.
Merci pour cette réflexion!
La philosophie du “lean management” ne me semble toutefois pas à refouler dans sa totalité : optimiser l’utilisation des fonds publics pour que le système de la santé répondent le mieux possible à sa mission (répondre aux besoins populationnels en matière de santé) me paraît, en soi, souhaitable. Vouloir un réseau de la santé plus performant (si le critère permettant d’évaluer la performance est la capacité du système à répondre aux besoins populationnels en matière de santé), cela me paraît également souhaitable.
Critiquer la manière dont les acteurs du milieu de la santé, en particulier les gestionnaires, instumentalisent ces méthodologies (en mettant l’emphase sur la nature “objective” des recommandations (donc non discutables), en les utilisant pour légitimer un idéal politique libéral caché derrière une dimension technique de ces outils de management, etc.), cela me paraît tout à fait nécessaire et urgent.
Enfin, je crois que, dans votre critique, très pertinente déjà, la dimension collective (structuraliste) devrait être renforcée afin de ne pas renforcer le postulat destructeur porté par l’idéologie néolibérale (l’individualisme méthodologique) : quel est le rôle des institutions (dans lesquelles évoluent ces individus) dans la valorisation de ces comportements? Quel est l’espace de remise en question qu’un gestionnaire du milieu de la santé aujourd’hui, quelque soit son éducation (socio, philo, etc.), a-t-il encore pour partager l’identifier des limites de ces pratiques?
Je vous parle ici d’expérience (MSc en management à HEC Montréal, PhD en philosophie, ancien consultant en management (ayant donc mobilisé régulièrement des méthodologies d’amélioration continue) et travaillant aujourd’hui dans l’écosystème de la santé).