Nous ne voulons pas voir

Journal d’un vieux simplicitaire – 4

Je termine la lecture d’une des dernières publications des Éditions Écosociété, Après le capitalisme, de Pierre Madelin. C’est un petit livre fort intéressant, même s’il est un peu compliqué par endroits. Mais il me conforte dans mes positions; bien des gens me disent catastrophiste, alors que je me considère tout simplement comme réaliste.

Je me permets de citer un large extrait de sa conclusion :

… nous savons désormais que c’est en connaissance de cause que nous avons détruit la nature depuis plusieurs siècles. Différents travaux salutaires mais quelque peu démoralisants ont mis fin au mythe d’une modernité réflexive, selon lequel notre « éveil écologique » remonterait à quelques décennies tout au plus. Ils ont montré que les sociétés modernes n’ont pas détruit « à leur insu » les écosystèmes dont elles dépendent, que ce n’est pas par inadvertance que les puissants de ce monde ont déréglé et détruit notre environnement depuis les origines de la révolution industrielle, mais bien plutôt en occultant les prises de conscience et les dénonciations précoces des risques et des nuisances qui accompagnèrent cette révolution. Si, malgré tout, nous n’avons alors rien fait, pourquoi en serait-il autrement aujourd’hui?

Cette question en appelle une autre. Ne souffrons-nous pas en effet – tant au niveau individuel qu’au niveau collectif – d’une incapacité à tirer les conclusions pratiques de nos connaissances, à réorienter nos modes de vie en tenant compte des risques qui nous menacent? Nous savons que la catastrophe climatique approche, mais nous agissons comme si nous n’arrivions pas à le croire, parce que la menace qu’elle représente, pour la plupart d’entre nous, demeure lointaine et abstraite. « Nous n’arrivons pas à donner un poids de réalité suffisant à l’avenir, et en particulier à l’avenir catastrophique »,(écrit Jean-Pierre Dupuy). C’est pourquoi la situation dans laquelle nous nous trouvons est désespérée et désespérante, il ne faut pas s’en cacher, et que les chances d’échapper au désastre s’amenuisent chaque jour un peu plus. Affirmer cela, ce n’est pas céder à la délectation morose ni au catastrophisme, c’est tout simplement affronter la réalité avec lucidité. (C’est moi qui souligne.)

Car une chose est certaine : en l’absence d’une transition écologique, nous assisterons à court ou moyen terme à une série d’effondrements systémiques. L’effondrement probable des écosystèmes et du climat s’accompagnerait d’un effondrement des réseaux d’infrastructures et des systèmes énergétiques et alimentaires, entraînant de graves dysfonctionnements dans une économie mondialisée dont nous sommes tous plus ou moins dépendants et provoquant des guerres, des famines et des migrations massives susceptibles de causer la mort de centaines de millions, voire de plusieurs milliards d’êtres humains. (p.146-147)

Certes, de telles prévisions sont sombres. Mais elles sont appuyées par tellement de chercheurs partout dans le monde. Tout au long de son livre, Madelin cite des livres récents qui appuient ses affirmations; en voici quelques-uns dont déjà les titres me semblent significatifs:

Razmig Keucheyan, La nature est un champ de bataille. Essai d’écologie politique, La Découverte, 2014

Michel Bounan, La folle histoire du monde, Allia, 2006

Juan Martinez-Alier, L’écologisme des pauvres. Une étude des conflits environnementaux dans le monde, Les petits matins, 2014

Jérôme Baschet, Adieux au capitalisme .Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes, La Découverte, 2016

Clive Hamilton, Requiem pour l’espèce humaine. Faire face à la réalité du changement climatique, Les Presses de Science Po, 2013 et Les apprentis sorciers du climat. Raisons et déraisons de la géo-ingénierie, Seuil, 2013

Harald Walzer, Les guerres du climat. Pourquoi on tue au XXIe siècle, Gallimard, 2009

Valérie Cabanes, Un nouveau droit pour la Terre. Pour en finir avec l’écocide, Seuil, 2016

Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète, Seuil, 2007

Silvia Perez-Vitoria, Manifeste pour un XXIe siècle paysan, Actes Sud, 2015

Pierre Dardot et Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle, La Découverte, 2014

John Holloway, Changer le monde sans prendre le pouvoir. Le sens de la révolution aujourd’hui, Syllepse 2008

Philippe Bihouix, L’âge des low tech. Vers une civilisation techniquement soutenable, Seuil, 2014

Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain, Seuil, 2004.

Mais qu’attendons-nous pour nous ouvrir les yeux?

Crédit photo : Griszka Niewiadomski – freeimages.com

6 réflexions sur “Nous ne voulons pas voir”

  1. Maryse Blanchette

    Bonjour monsieur Mongeau

    Un petit mot pour m’excuser de vous avoir interpellé par votre prénom. Cette familiarité malhabile se produit probablement plus souvent avec les personnes qui ont une vie publique car comme lecteur ou lectrice, les propos écrits auxquels on adhère nous donne une impression d’intimité avec l’auteur. j’espère que vous ne voyez pas dans cette bévue, un manque de respect. Si c’est le cas, tel n’était pas mon intention

    Bonne journée
    Maryse

  2. Maryse Blanchette

    Bonjour Serge

    L’an prochain le cours d’économies sera de retour. Je l’ai enseigné il y a 20ans alors que je n’avais que 23 ans….combien de fois, je me suis dit “comme j’aimerais enseigner de nouveau ce cours avec le cheminement philosophique parcouru” et ça y est, en septembre prochain, je commence.

    Déjà j’ai débuté le travail quant à l’organisation de la matière mais à 2 cours par 9 jours, on ne peut qu’effleurer l’essentiel. C’est pourquoi je songe à offrir une activité parascolaire qui ferait la promotion de la simplicité volontaire. Cette activité s’adresserait à un groupe de 10 à 20 élèves maximum durant ce que l’on appelle les midis prolongés. Pour que cette activité soit acceptée, je dois monter un canevas. Je me disais que ce serait formidable pour moi et les élèves et très vendeur auprès de la direction si tu acceptais de venir rencontrer le groupe d’adolescents. Nos moyens sont limités voir inexistants car l’école ne débloquera pas d’argent pour un groupe d’une dizaine d’élèves.

    Les générations futures représentent notre seule chance de changer les choses (pensons au printemps érable)…voilà comment j’entrevois le changement.
    Qu’en dis-tu?

    Maryse

  3. Serge Mongeau

    Pour répondre à Denis, qui se demande “comment on fait pour passer à l’action…”; je te suggère mon livre S’indigner, oui, mais agir (Écosociété), dans lequel je passe en revue diverses actions possibles dans notre vie de tous les jours.

  4. CAROLE LAVOIE

    Avant d’ouvrir les yeux, il faut d’abord se rendre compte qu’ils sont bien fermés et que notre “système” économique fait tout pour nous faire “croire” que tout va bien. On carbure encore sur la “croissance” alors que c’est une absurdité, toute personne en autorité qui encourage cela étale sa plus grande incompétence et son ignorance. Des aveugles qui guident des aveugles.

    Des effondrements systémiques sur le plan écologique sont déjà en cours en maints endroits de la planète, sur terre et sur mer. Les zones de conflits au Moyen-Orient et la corne de l’Afrique en sont des témoignages éloquents. Il n’y a plus d’arbres, comment pourrait-il y avoir de la pluie et conséquemment de la Paix? Et pour la grande Nature qui reste alors c’est une course à l’extraction, le Congo, l’Amazonie qui à leur tour connaîtront la désertification comme Haïti.
    Puisque l’Homo sapiens réagit selon la réponse combat-fuite, il faudra que la menace cogne à nos portes avant que l’on se réveille…or ça cogne déjà et ils s’appellent des réfugiés.

    Toutefois, je vois dans la jeunesse un niveau de conscience qui n’existait pas du tout lorsque j’avais cet âge. Aujourd’hui tous les problèmes sont clairement identifiés et leurs solutions très simples pourtant là. Faudra que des comportements dits “culturels” prennent le bord car ils ne sont pas soutenables ni pour l’environnement ni pour nous qui sommes parti intégrante de ce même environnement. La façon de s’alimenter en est un qui est capital et pourtant tabou, alors que c’est bien cela qui nous rend malade avec toutes les conséquences dégénératives que ça entraine dans nos écosystèmes.

    Pour des solutions applicables à votre échelle, je vous invite à vous renseigner au sujet de la PERMACULTURE et pour réfléchir et surtout agir sur votre santé de visiter le site regenere.org.

    Dans la Vie, on s’organise ou bien on se fait organiser…à vous de choisir.

    “On ne change jamais les choses en se battant contre ce qui existe.
    Pour changer quelque chose, il faut construire un nouveau modèle qui
    rend l’existant obsolète.” (Buckminster Fuller)

  5. Je suis certain que plusieurs personnes voient et sont conscientes de la gravité de la situation. Je pense être de ceux-là. Mais, comment fait-on pour passer à l’action et donner un sens à nos petits gestes dans cette océan d’incohérence. J’ai beau vouloir garder les yeux ouvert, mais tout autour de moi me pousse à les refermer. La semaine dernière, j’ai regardé le film “Demain”. C’est vraiment un film à voir et à revoir pour nous aider à comprendre que même des petits gestes ont la capacité de s’additionner pour devenir une réelle solution.

    1. En réponse à Denis,

      Cela peut sembler simpliste, mais il n’y a qu’un moyen pour passer à l’action: agir. Et ce, en ne demeurant pas dans l’attente que quelqu’un approuve et confirme que les petits gestes changeront quelque chose. Ces gestes auront des répercussions; il ne peut en être autrement. L’envergure de celles-ci est incertaine, mais ce n’est pas une raison pour choisir le statu quo.

      Garder les yeux ouverts est un choix, une décision. Tout comme les refermer. Garder les yeux ouverts est difficile et demande des efforts constants. Mais c’est un acte d’amour — de soi, de la planète — et de respect.

      Océan d’incohérences. Sans doute. Mais ultimement, le sens vient de soi. Le choix vient de soi.

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