La Révolution est-elle le chemin du changement nécessaire?

Je suis allé voir, hier, Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau, des cinéastes québécois Mathieu Denis et Simon Lavoie. Vraiment pas un film sur la simplicité volontaire! Même si les 4 protagonistes du film vivent de façon très spartiate au service de leur cause qui est la Révolution (rien de moins).

Pourquoi alors en parler dans le Carnet des simplicitaires? Parce que le film porte essentiellement sur les moyens de transformer une société anesthésiée dans «le confort et l’indifférence» pour reprendre le titre du film de Denys Arcand. Le confort de la surconsommation, et l’indifférence (pratique) face aux innombrables injustices qui accablent notre humanité. Une apathie collective éloquemment résumée en 8 minutes 29 secondes dans le documentaire choc de Spencer Cathcart, Le mensonge dans lequel nous vivons.

La fiction de Denis et Lavoie dure, elle, trois heures et trois minutes! Elle épouse une forme cinématographique aux antipodes de l’efficacité quasi publicitaire de Cathcart. Déstabilisant de bout en bout (des 5 premières minutes au générique final), Ceux qui font les révolutions ne peut laisser personne indifférent: de ceux qui quittent après 15 ou 30 minutes jusqu’à ceux qui restent assis après plus de trois heures.

Mais la question qui nous interpelle, ici, est celle des moyens qui font bouger les choses. Comment faire en sorte que l’an prochain, dans cinq ans, dans dix ans, plus de gens aient changé leur façon de vivre, que notre planète soit moins menacée, que la tolérance (ou l’impuissance) face aux injustices ait diminué?

Très schématiquement résumée, l’histoire est celle de quatre jeunes Québécois, héritiers d’un Printemps érable de 2012 dont ils espéraient clairement une transformation plus profonde de la société, et qui, quelques années plus tard, ont l’impression que rien n’a vraiment changé. Refusant de se résigner à cette sorte de statu quo, ils se regroupent pour tenter de «réveiller le peuple» et lui faire prendre conscience de son aliénation. «Le peuple ne sait pas encore qu’il est malheureux. Nous allons le lui apprendre.» est le premier graffiti que le groupe va superposer à la publicité envahissante.

Le film de Denis et Lavoie dépasse le contexte québécois et le Printemps érable. Il pose la question universelle de l’idéalisme et de l’engagement. Au terme du film, la Révolution (violente) espérée et fomentée par une avant-garde éclairée n’a à l’évidence aucun succès ni aucun avenir. Point barre.

Reste entière la question de la situation du monde, qui n’est toujours pas plus acceptable après cet échec qu’avant la Révolution. Si cette Révolution, qui emprunte clairement à la rhétorique et à l’esthétique des années 60 et 70, ne peut réussir, cela veut-il dire qu’aucune Révolution n’est possible? Plus important encore, cela veut-il dire qu’on peut se passer d’une véritable révolution (avec un petit r)?

Je quitte ici le film Ceux qui font les révolutions pour conclure par trois convictions personnelles:

  • les changements que nous devons faire dans le monde sont suffisamment profonds et essentiels pour qu’on doive parler de véritable révolution (autrement dit, de simples aménagements, correctifs ou améliorations des choses ne seront pas suffisants);
  • cette transformation profonde (révolution) ne pourra jamais être violente si elle veut avoir la moindre chance de réussir dans la durée(1);
  • si un leadership est clairement indispensable, les chances de succès reposent toujours essentiellement sur la capacité, ou non, de ce leadership à mobiliser largement sa base au point que c’est désormais une masse critique de citoyens qui fait sienne et porte cette volonté de changement.

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(1) En fait les mouvements ou campagnes politiques qui utilisent les moyens de la nonviolence ont, sur l’échantillon de 329 conflits répertoriés de 1900 à 2006, deux fois plus de chances de réussite totale ou partielle que les mouvements ou campagnes qui recourent à la violence (voir Why Civil Résistance Works d’Erica Chenoweth et Maria J. Stephan, Presses de l’Université Columbia, 2011). J’aborderai à fond ces questions dans mon prochain livre NONVIOLENCE: une réponse efficace aux défis du monde actuel (à paraître à l’automne 2017).

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