Dans la dernière édition du Mouton Noir, un journal communautaire de Rimouski, on trouve un supplément littéraire qui présente les textes gagnants du concours L’ÉCORCE FABULEUSE ( Les prix de la relève littéraire du Bas-Saint- Laurent de l’automne 2017). J’ai été renversé par le texte de Marjorie Plourde, étudiante en secondaire 5 de l’École secondaire de Cabano, de la Commission scolaire du Fleuve-et-des-Lacs. Dans quelle sorte de société vivons-nous pour que des adolescents puissent envisager un tel avenir pour l’humanité? Je reproduis en entier son texte, qui donne à réfléchir.
LE DÉBUT DE LA FAIM
« Un autre repas que je ne verrai pas. D’autres saveurs que je ne goûterai jamais. Une pilule contenant tous les nutriments nécessaires pour survivre à la journée dans une main et un verre rempli d’un liquide douteux dans l’autre, je ferme les yeux et m’apprête à avaler mon seul et unique repas. C’est devenu coutume pour moi, mais parfois j’aimerais revenir en arrière. J’ai oublié le goût des aliments frais dans ma bouche. J’ai oublié comment on attendait avec impatience le temps de la récolte pour pouvoir savourer des légumes fraîchement cultivés. J’ai oublié qu’auparavant d’autres êtres vivaient aussi sur cette planète. J’ai oublié qu’on pouvait jadis se désaltérer d’une eau pure et limpide. J’ai oublié tant de choses, mais je n’ai jamais oublié la Terre, notre mère nourricière, comme vous, vous l’avez fait.
« L’humanité a fait un choix très important. Elle a choisi de détruire la planète afin d’obtenir de simples bouts de papier qu’on appelle « argent ». J’ai bien peur qu’elle ait fait le mauvais choix. Lorsque nous avons enfin réalisé que l’argent ne se mangeait pas, nous n’avons même pas tenté de changer le sort de la planète. Nous l’avons simplement abandonnée. Nous l’avons regardée mourir à petit feu sous nos yeux. Je me rends compte à quel point nous sommes des êtres égoïstes. Je croyais que nous, habitants de la Terre, allions sonner l’alarme bien plus tôt. Maintenant, croquer dans une pêche juteuse, humer l’odeur d’une rôtie au petit matin et contempler une assiette colorée ne sont que de lointains souvenirs.
« Lorsque nous devions réduire la pollution émise, nous ne l’avons pas fait. Lorsque nous devions tenter de préserver les ressources fragiles qu’il nous restait, nous ne l’avons pas fait. Nous devions nous entraider, nous devions être solidaires. Nous l’avons été, à une lettre près. Nous étions si près du but, nous aurions pu réussir à sauver notre joyau. Au lieu de cela, nous l’avons noyé dans l’essence et nous avons rasé ses poumons. Si près du but et pourtant si loin.
« Les gens que je côtoie disent que je suis irréaliste et ils ont sûrement raison, mais pourquoi blâmeraient-ils une jeune fille parce qu’elle se permet de rêver que les choses auraient pu être bien différentes? Parfois j’aime imaginer que cette pilule que je prends chaque matin est une pomme bien mûre que j’ai cueillie le jour même, mais à chaque fois la réalité me rattrape, le cachet redevient un simple cachet. J’aimerais tant pouvoir déguster, goûter et me délecter, au moins une dernière fois, d’un bon repas et cette fois, je prendrais le temps de l’apprécier.
« Aujourd’hui, c’est l’un de ces matins où je me permets de rêvasser. Je prends une grande inspiration et j’avale la pilule. C’est tout ce que j’aurai pour la journée, mais ce n’est pas assez. Je voudrais plus, beaucoup plus. J’ouvre les yeux, je me regarde dans le miroir. Je fais un léger sourire. Je ne souris pas parce que je suis heureuse. Je souris parce que je le peux encore. Je ne sais pas si demain je le pourrai toujours, mais aujourd’hui, je remercie la Terre de me permettre de vivre une autre journée à ses côtés. C’est le début de la faim, mais j’espère encore. »
Le début de la “faim” qui est en fait le début de la “fin” est déjà bien amorcé pour plusieurs dizaines de millions d’humains, d’innombrables autres espèces de plantes et d’animaux et malheureusement ce n’est qu’un début.
Que Marjorie se console d’une certaine manière car d’aucune façon l’espèce humaine pourra vivre de pilules. C’est la qualité et la quantité plus ou moins grande du « vivant » de nos aliments qui nous maintiennent en plus ou moins bonne santé. Tout ce qui sort d’une usine est « mort » et est indigne de se qualifier de nourriture. Avec des pilules aussi « complètes » qu’on voudra bien nous faire avaler, notre espèce va vite devenir non viable, n’atteignant même pas l’âge de la reproduction.
J’invite Marjorie et tous les lucides comme elle à se faire un jardin aussi petit soit-il, de faire des germinations, de boire du jus vert, de bouger, de jouer dehors, de rêver, de planter des arbres…beaucoup, beaucoup d’arbres…même clandestinement!
Il nous faut INDIVIDUELLEMENT simplement recréer le paradis là où l’on est, juste sous nos pieds.
Devenons des révolutionnaires silencieux, reverdissons ce joyau bleu qui se balade dans l’espace car sachez que la Vie continuera avec … ou sans nous (Homo sapiens).
Merci Serge de nous partager ce message de plus, surtout venant d’une adolescente. Comme j’aimerais que tous les adultes aient cette conscience de notre précarité actuelle due à nos choix, plutôt nos mauvais choix!