L’argent est un sujet bizarre : à la fois omniprésent et tabou. Dans notre société où (presque) tout se mesure en argent, celui-ci est le moteur et la motivation d’une grande partie de nos vies. Et pourtant, on parle presque plus facilement de sexe que d’argent. Qui donc ose dire combien il gagne, combien il a d’argent en banque, quelle est la valeur de son patrimoine financier?
Je tiens à préciser, dès le départ, que la simplicité volontaire (SV pour des raisons de commodité) ne se mesure absolument pas en argent : la simplicité volontaire ne consiste pas à vivre avec moins d’argent, à dépenser moins d’argent ou à avoir le plus petit budget possible. Elle peut se vivre aussi bien pour les « riches » (financièrement) que pour les « pauvres ». Pour tous et toutes, elle est une invitation et un cheminement pour identifier ses véritables priorités et chercher à les vivre le mieux possible, en se laissant distraire, dévier ou emprisonner le moins possible par toutes sortes d’autres intérêts, désirs ou passions.
Donc soyons clair : la simplicité volontaire ne se résume pas au rapport à l’argent, pas plus qu’elle ne se résume à nos comportements écologiques, alimentaires, de transport, de rapport au temps, au commerce équitable ou à tout autre secteur de nos vies. La simplicité volontaire est une sorte de « philosophie de vie », une approche globale, un chemin pour vivre plus et mieux quant à l’essentiel.
Cela étant précisé, revenons à l’argent. Pourquoi le sujet est-il si tabou? Je n’ai pas la compétence (ni l’intention) pour approfondir ici cette question. Mais je pose l’hypothèse que cela fait l’affaire de notre système économique en « sacralisant » la chose dans une aura de mystère, d’importance et de secret; sans compter que cela renforce le caractère individualiste et « privé » de la propriété privée qui se trouve au fondement même de notre système capitaliste.
D’autre part, on ne veut pas paraître prétentieux, arrogant ou simplement « chiant » en étalant ses succès, ni misérabiliste en partageant ses problèmes ou ses échecs. Pas plus qu’on ne veut blesser ceux et celles qui ont eu des parcours différents ou plus difficiles. D’où souvent notre silence ou notre discrétion pudiques quant à notre situation matérielle.
Quoi qu’il en soit, je veux témoigner ici qu’il est possible de vivre (et de vivre bien) avec peu d’argent, et certainement avec beaucoup moins d’argent qu’on ne le croit (ou qu’on nous le fait croire) généralement. Cela ne se veut pas une réaffirmation moralisatrice du classique « l’argent ne fait pas le bonheur » (bien que cette maxime soit une juste expression de la sagesse ancestrale), mais un témoignage concret et personnel (et j’insiste sur le mot personnel : d’autres personnes le vivraient aussi bien, mais différemment) qui ne se veut en aucun cas jugement d’autrui, mais plutôt exemple du possible et invitation à explorer des alternatives à la sacro-sainte quête de l’argent et poursuite de la richesse.
Sans entrer dans les détails, j’ai vécu toute ma vie (essentiellement par choix) avec relativement peu de revenus. La plupart du temps, en dessous de ce que nos gouvernements considéraient comme le « seuil de pauvreté ou de faible revenu », individuel ou familial. Je tiens cependant à préciser ici que les mêmes revenus n’ont pas du tout le même effet pour tout le monde. Il est évident que quelqu’un qui choisit de vivre avec peu de revenus n’est pas du tout dans la même situation que quelqu’un qui subit ce faible revenu. Évident aussi que quelqu’un qui a les moyens de se payer une auto ou une télévision et qui fait le choix de s’en passer ne vivra pas du tout le même sentiment de manque et d’injustice que celui ou celle qui n’en a pas les moyens et qui passe sa vie à rêver d’en avoir une un jour. Tout comme la personne qui bénéficie d’une grande estime de soi ne vit pas du tout son rapport aux biens matériels de la même façon qu’une personne qui se sent inférieure, méprisée ou victime dans la société. L’éducation familiale, la scolarité, la capacité de budgéter et d’administrer, la santé, le milieu social d’appartenance et les réseaux de relations et de support font aussi une énorme différence dans la façon de vivre et d’être heureux avec des revenus pourtant identiques.
J’ai d’abord travaillé deux ans en Afrique comme coopérant volontaire (avec le salaire de nos homologues africains). Puis j’ai commencé à travailler au Québec avec autour de 8 000 $ par année (c’était à l’époque du premier Front commun intersyndical de 1972 et de sa revendication du 100 $ minimum par semaine!). Par la suite, je suis retourné aux études à temps plein (marié, avec un premier enfant), pendant que ma compagne choisissait de travailler bénévolement à temps partiel, notre famille vivant alors essentiellement de nos économies (déjà) et de mes prêts et bourses. Même si j’ai complété mes études en droit (le programme de « sciences juridiques » de l’UQAM) et si j’ai été membre du Barreau pendant 20 ans, j’ai choisi de ne pas pratiquer le droit de façon conventionnelle et de travailler plutôt en milieux militants et communautaires (avec les salaires du communautaire, c’est-à-dire pas mal moindres que ceux du « marché » de l’emploi et ceux des avocats). Et à partir de 1982, pour diverses raisons, j’ai essentiellement travaillé à temps partiel (en moyenne environ trois jours par semaine) pour le reste de ma vie de travail salarié, à l’exception de quatre années où j’ai travaillé à temps (plus que) plein dans des secteurs de travail « officiels » avec les salaires beaucoup plus élevés qui vont de pair : 3½ ans pour le gouvernement fédéral (étude des demandes de refuge au Canada) et six mois pour les Nations Unies (mission d’observation en Haïti). Pendant tout ce temps, ma compagne travaillait elle aussi surtout en milieu communautaire et le plus souvent à temps partiel. Et nous avions eu le bonheur d’accueillir un deuxième enfant dans la famille.
Quarante ans plus tard, je constate que je n’ai jamais acheté quoi que ce soit autrement que comptant, que je n’ai jamais eu à reporter un achat faute d’argent, que nous avons toujours eu de quoi partager généreusement avec des groupes ou des causes qui nous tenaient à cœur, que nous avons plusieurs fois pu venir en aide à des familles ou des personnes qui étaient coincées financièrement (le plus souvent par des prêts sans intérêts, qui nous ont presque toujours été remboursés sans faute), que nous avons pu prendre notre retraite (mais de quoi, exactement, puisque dans mon cas j’étais déjà pigiste depuis plus de 10 ans?) avant l’âge habituel de la retraite, et que nous pouvons maintenant aider nos enfants à acheter leur propre maison tout en continuant de soutenir financièrement les choses qui nous tiennent à cœur.
Comment cela est-il possible? Essentiellement en dépensant toujours moins que ce que l’on gagne, quel que soit le montant que l’on gagne (déjà vrai à l’époque du 100 $ par mois en Afrique, mais « nourri et logé », tout de même!). Ce qui signifie que l’on est toujours dans le « noir » plutôt que dans le « rouge », et que les économies fructifient : comme je l’ai souvent dit ou écrit, « dans notre système économique, quand j’ai un dollar d’économie, il travaille pour moi tandis que quand j’ai un dollar de dette, c’est moi qui travaille pour lui! » (encore qu’il faudrait se demander qui exactement travaille pour moi, puisque ni l’argent ni les intérêts ne poussent encore dans les arbres!).
En choisissant de ne pas avoir d’automobile (en vivant à Montréal), ce qui suppose évidemment certains inconvénients (d’ailleurs moins considérables qu’on le croit généralement), mais en privilégiant le transport en commun, le transport actif (marche, vélo), le partage de ressources (Communauto, co-propriété, échange de services), la location occasionnelle (même pour un mois ou plus, durant les vacances d’été) et le taxi au besoin. Ce qui permet d’épargner plusieurs dizaines de milliers de dollars sur une vie. Dizaines de milliers de dollars que vous n’êtes pas obligés de gagner (ce qui permet plus de flexibilité dans le choix de travail, ou le temps partiel), que vous pouvez utiliser autrement ou qui fructifient pour vous, si vous les avez gagnés.
En choisissant d’acheter une maison en co-propriété (par opposition à la propriété privée d’une maison unifamiliale), ou de privilégier les diverses formes d’habitation plus collectives (coopératives, co-housing, co-location, communes). Ce qui peut permettre de se payer un loyer à soi-même plutôt que d’enrichir un propriétaire, de se donner dans certains cas peu à peu un « actif » et, dans tous les cas, de réduire considérablement, sur l’ensemble d’une vie, le coût du logement qui est un poste budgétaire important. Option d’autant plus possible si on arrive à recruter des prêts privés, sans intérêts ou avec des intérêts moindres que ceux des banques, et qui permettent souvent aux prêteurs d’obtenir le même « rendement » sur leur investissement que s’ils plaçaient leur argent dans le système financier. Ce financement parallèle mérite d’ailleurs qu’on revoie toute notre conception des héritages, puisque c’est généralement de notre vivant que nos enfants ont le plus besoin de notre aide, et non après notre mort. Et qu’il y a mille façons de faire profiter nos proches de notre soutien financier sans pour autant mettre en péril notre retraite ou désavantager injustement certains héritiers au profit de d’autres.
En n’hésitant pas à acheter nos biens « en spécial » plutôt qu’au plein prix, nos appareils électroniques six mois (et donc une génération!) plus tard plutôt qu’au moment de leur mise en marché, nos objets « de seconde main » (ce qui permet de leur donner une seconde vie), en acceptant de partager nos biens et services (avons-nous besoin chacun de notre tondeuse, notre piscine, nos outils, nos équipements sportifs?), en s’échangeant des choses dont on n’a plus besoin (vêtements et mobilier pour bébé, bicyclettes ou patins à mesure que les enfants grandissent, vêtements qu’on aurait le goût de renouveler), en empruntant nos livres dans les bibliothèques, en fréquentant les spectacles et les expositions dans les maisons de la culture, en choisissant d’encourager les athlètes et les équipes amateurs plutôt que d’assister aux gros shows des professionnels, etc.
En prenant le temps de répondre davantage nous-mêmes à nos besoins (alimentation, vêtements, loisirs, exercice physique, temps familial et vie avec les enfants) plutôt que de s’en remettre pour cela à la consommation de produits fournis par le commerce. En prenant le temps de nous arrêter, de faire le point, d’identifier nos vrais besoins et priorités, de goûter à la vie qui nous entoure au lieu de nous laisser entraîner par les multiples sollicitations de la vie, par nos goûts de consommateurs, par les « progrès » technologiques ou par les besoins de la croissance économique.
Bref, en étant « au volant » de notre propre vie au lieu de nous laisser influencer par la publicité, le qu’en-dira-t-on ou le « tout le monde le fait, fais-le donc! »… Vivre et vivre bien ne coûte pas cher. L’argent n’a pas à devenir le maître de nos vies : c’est à nous d’en faire un serviteur, au service de la vie, la nôtre et celle des autres. C’est possible, ici et maintenant. C’est même nécessaire et urgent, pour la survie et l’avenir de notre humanité. Mais cela suppose qu’on change notre façon de voir et de vivre. C’est aussi l’invitation et l’expérience de la simplicité volontaire.
Bonne semaine!
J’ai compris que l’argent n’est simplement qu’un outil pour vivre dans nos sociétés modernes. Mais malheureusement, c’est devenu notre nouveau dieu et nous en sommes même devenus aveugle.
Notre relation avec l’argent en dit long sur notre vie, beaucoup plus qu’on pense. L’argent amplifie ce que l’on est.
Sans entrer dans les rudiment de l’économie, quand on commence à explorer et à découvrir d’où vient l’argent, l’histoire du système bancaire moderne et les devises par décret (fiat currency), comment l’argent est créé à partir de la création de dette et l’utilisation du crédit, c’est à ce moment qu’on abouti à une poignée de personne dans le haut de la pyramide qui nous gouverne, qui gouverne le monde entier.
Et c’est bien ce qui justifie le fait que nous sommes malheureusement devenu au service de cet argent qui, finalement, ne vaut pas plus que le papier et l’encre sur lequel on se l’échange…
Saviez-vous que plus de 95% de toute l’argent en circulation sur la planète entière est de format électronique ou virtuel?