Retour sur l’attentat de la Grande mosquée

Dans les heures qui ont précédé l’attentat du 29 janvier 2017, je me suis portée volontaire pour mettre sur pied un cercle de lecture autour des écrits d’Etty Hillesum[1]. En participant à la Vigile puis à la célébration eucharistique qui a suivi, je me disais qu’un groupe de partage sur Etty était un fort bon moyen de faire rayonner un esprit de paix et de répondre à la violence de ce dramatique évènement.

Dans son journal, publié 40 ans après son décès, nous pouvons suivre les réflexions de cette jeune femme juive de 28 ans. Alors que les nazis amplifient peu à peu les limites et les exclusions à l’égard de la population juive des Pays-Bas, elle écrit :

Ça y est, on est sur le point d’adopter de nouvelles mesures antijuives, semble-t-il : interdiction d’acheter chez les marchands de fruits et légumes, réquisition des bicyclettes, interdiction de prendre le tram, couvre-feu à 8 heures.

Au lieu de se laisser accabler par ces vexations, Etty remarque « pourtant la vraie spoliation c’est nous-mêmes qui nous l’infligeons ». Jamais, dans son journal, elle ne maudit les Allemands, ce qui, de son point de vue, ne pourrait qu’envenimer davantage un climat déjà très sombre. C’est plutôt en elle-même qu’elle cherche à faire la paix, car elle croit que cette paix ne sera possible « que si chaque individu (…) extirpe tout sentiment de haine pour quelque race ou quelque peuple que ce soit ».

Il me semble que l’évènement survenu au Centre culturel islamique nous interpelle dans le même sens. Un des fondateurs du centre m’a grandement impressionnée au lendemain de l’attentat. Très touché par les multiples marques de compassion et de solidarité, il s’est adressé à notre assemblée en affirmant à plusieurs reprises « je vous aime ». Jamais lui ou d’autres croyants de la Grande mosquée n’ont prononcé des paroles de haine à l’endroit de l’agresseur. Bien au contraire, ils nous appelaient à prier pour Alexandre Bissonnette et pour sa famille.

Il est triste de constater la zizanie qui s’est installée dans les mois qui ont suivi. « Le référendum sur le cimetière à Saint-Apollinaire, l’explosion de la voiture du président du CCIQ, la livraison de messages haineux à la mosquée (…) la montée de La Meute et d’autres groupuscules de la droite identitaire, le débat entourant la consultation sur le racisme systémique… »[2] ont ravivé la méfiance et les animosités.

Aujourd’hui, de nombreux musulmans réclament une Journée nationale contre l’islamophobie. Je ne sais pas si cette formule est la bonne. Chose certaine, il nous faut un mouvement de fond pour contrer la haine envers tout individu, tout groupe, toute race et toute religion. Nous avons besoin d’apprendre à nous reconnaître mutuellement dans ce qui nous unit plutôt que dans ce qui nous divise.

Les simplicitaires ont de merveilleux modèles de personnes qui montrent ce chemin en commençant par Gandhi. J’aimerais proposer, aujourd’hui, la figure d’Etty quand elle écrit « maintenant que je ne veux plus rien posséder et que je suis libre, tout m’appartient et ma richesse intérieure est dorénavant immense. »

Bien d’autres ont tenu des propos semblables et nous montrent qu’en nous décentrant de nos possessions, nous créons de l’espace en nous. Et cet espace, nous en avons grandement besoin pour cultiver l’altérité et l’accueil de l’autre. Je crois profondément que collectivement, nous pouvons puiser dans le regard de l’immigrant, du réfugié ou de l’étranger un reflet de notre société et y trouver des pistes pour notre devenir.

[1] Etty Hillesum Une vie bouleversée, suivi de Lettres de Westerbork, Éditions du Seuil, 1995.

[2] Le Devoir dans son édition du 13 janvier 2018

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