Fin d’un monde, début d’un autre

La fin du monde annoncée par le calendrier maya (21 décembre 2012) n’a pas eu lieu. Et pourtant, il faut souhaiter que les Mayas aient eu raison! Et que le 21 décembre 2012 marque effectivement la fin d’un monde qui ne peut plus durer longtemps s’il persiste dans ses orientations actuelles! Nous avons besoin, plus que jamais, d’un “autre monde possible”. Et ce n’est pas l’entente de la 25e heure pour éviter le “précipice fiscal américain” qui y changera quelque chose.

Cette lecture de la “fin du monde maya” m’a été inspirée par une simplicitaire du RQSV, Christine Lemaire, qui développait ce thème sur son blogue le 18 décembre dernier: “La fin d’un temps?”. D’ailleurs, plusieurs ont repris ce thème, dont les Zapatistes du Mexique, eux-mêmes descendants des Mayas: “Pour les Zapatistes Mayas, un nouveau monde s’annonce.”

Mais au-delà de ce non-événement qui a marqué la fin de 2012, j’aimerais revenir sur deux autres événements majeurs de mon année qui s’achève: l’un éminemment collectif et politique, le “printemps érable” québécois, et l’autre tout à fait personnel et en apparence privé, la fin de vie de mon père décédé à 89 ans le 14 octobre dernier. Et quand on y regarde de plus près, tous deux parlent aussi de la fin d’un monde et du début d’un autre.

Je ne referai pas ici l’histoire du printemps érable: pour ceux et celles qui ne seraient pas familiers avec cet épisode exceptionnel de notre vie collective québécoise (ça faisait presque une génération que le Québec n’avait pas connu une telle effervescence… et une telle division), vous pouvez consulter le bilan tracé par la chanteuse Ariane Moffat pour la revue française Télérama, ou l’entrée extrêmement développée sur le printemps érable publiée dans Wikipedia.

Mais ce printemps des “carrés rouges” s’inscrit dans le mouvement mondial beaucoup plus large des situations sociales, économiques et politiques qui “sautent” un peu partout sur la planète depuis le début de 2011: certaines beaucoup plus connues, comme le printemps arabe et ses retombées, ou le mouvement des indignés espagnols de la Puerta del Sol, ou Occupy Wall Street, Montréal et des centaines d’autres villes dans le monde. Mais aussi des soulèvements populaires semblables et aussi significatifs dont on a beaucoup moins entendu parler, comme par exemple en Israël avec le “mouvement des tentes” qu’on peut découvrir dans “Un autre Israël est possible, vingt porteurs d’alternatives”. Et pour avoir une perspective globale sur ce qui est en germe dans ces soulèvements si divers, dispersés géographiquement et pourtant parents les uns des autres, voir le livre (en anglais) de Paul Mason: “Why It’s Kicking Off Everywhere, The new global revolutions” publié en 2012 et dont une nouvelle version augmentée doit paraître en mars 2013.

Pour le printemps érable québécois comme pour la mouvance internationale dans laquelle il s’inscrit, il est impossible de prédire avec précision l’influence à long terme. Seule l’Histoire dira, en rétrospective, si ces mobilisations sociales massives auront véritablement marqué, ou non, le début d’une nouvelle ère citoyenne, d’une plus grande prise en charge collective du destin des sociétés et des peuples. Mais plus encore que le calendrier maya, l’irruption des peuples, des sans pouvoir et surtout des jeunes dans l’espace public donne des raisons tangibles d’espérer la fin d’un certain monde, marqué par la course effrénée et sans limites au profit, à la croissance et au pouvoir de l’argent, et la gestation, sûrement longue et difficile, d’un monde différent construit davantage au service des humains et de leurs besoins essentiels concrets.

L’autre événement essentiel de mon année 2012, c’est la fin de vie de mon père que j’ai accompagnée de près, avec les autres membres de ma famille, depuis le printemps dernier. Pourquoi parler ici d’un événement qui, à première vue, devrait se cantonner dans la sphère privée?

Parce qu’au-delà des péripéties médicales et personnelles qui sont ici inutiles, le cheminement d’apprivoisement de la mort a non seulement été pour moi (et pour nous) une véritable leçon de vie, mais il témoignait, de manière exemplaire, d’enjeux collectifs qui sont on ne peut plus d’actualité. Et qui touchent plusieurs des intuitions fondamentales de la simplicité volontaire.

Car le vieillissement et la maladie sont des chemins que la grande majorité d’entre nous allons inévitablement devoir parcourir à notre tour, même si nous faisons souvent tout pour éviter d’y penser ou pour en repousser l’échéance. Papa a eu l’immense privilège de vivre en relativement bonne santé jusqu’à ses 88 ans et demi. Et seule sa dernière année aura été sérieusement marquée par la dégénérescence de ses fonctions vitales (coeur et reins surtout), ce qui ne l’aura même pas empêché de rester présent et lucide jusqu’à sa dernière journée. Ni de réaliser l’un de ses rêves d’enfance: être ordonné prêtre le 15 septembre dernier, moins d’un mois avant sa mort (il était entré dans une communauté religieuse à 83 ans, 12 ans après la mort de son épouse; comme quoi il n’y a pas d’âge pour se donner des projets et poursuivre ses rêves).

Et pourtant, chacune des journées qui l’ont conduit, de ses premières hospitalisations au printemps jusqu’à son départ à la mi-octobre, a été marquée par l’apprentissage progressif des deuils, des renoncements et des lâcher-prise successifs: de ses capacités physiques, de ses amiEs, de ses déplacements, de ses projets, de sa mémoire, de son contrôle mental et cognitif, etc. Nous vivons dans un monde qui prétend “progresser” et croître sans cesse: et pourtant, nous vivons dans un monde fini, dont nous refusons d’accepter les limites. Et la mort du corps physique, inéluctable malgré nos rêves d’immortalité, n’est que le rappel à l’ordre intime et personnel de cette profonde vérité de l’existence humaine. Tout a une fin, du moins à hauteur de notre regard humain. Même si pour les croyants, la fin du corps peut s’avérer être le début d’une vie autre, nouvelle, encore inouïe et invisible à nos sens corporels.

Je n’ai aucune certitude que la fin d’un monde permettra effectivement le début d’un autre. Ni que cet autre possible sera nécessairement meilleur. Mais j’ai l’intime conviction que nous avons besoin d’un monde autre. Et j’ai la sereine espérance qu’un tel monde autre est possible, et qu’il ne viendra que si nous travaillons à le bâtir.

Je vous souhaite, à chacun et chacune, une année 2013 faite de 365 journées accueillies chacune avec la joie d’un nouveau jour et terminées chacune dans la gratitude pour ce que la vie vous y aura apporté. À tous et toutes, paix, justice et sérénité: des ingrédients pour le bonheur, avec la santé nécessaire pour pouvoir les goûter.

1 réflexion sur “Fin d’un monde, début d’un autre”

  1. Jocelyne Dubeau

    Merci beaucoup pour ce beau partage.Ca nous ramène a nos convictions.Nous venons de passer un moment difficile pour nous simplicitaires.Le temps des fêtes pour notre entourage suscite tout le temps des commentaires et des jugements déplaisants envers nous.Depuis quelques années,je préfère rester chez moi.Je refuse toutes les invitations où les gens passent la soirée a regarder les enfants déballer leurs nombreux cadeaux.Je suis contre ce genre de chose alors je préfère m’abstenir.La première journée de l’an,j’ai fais une belle balade dans la nature avec mon conjoint.Pour moi,c’est une excellente façon de débuter l’année.J’en profite toujours pour remercier le Créateur de nous avoir accordé tant de beauté.Le bonheur,c’est pourtant si simple.Vous lire est toujours source de plaisir pour moi.Bonne année a vous ainsi qu’a toute votre équipe.

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